Robert Ménard: « Créons ce grand mouvement dont la France a besoin »

 

♦ À Toulouse, Marine Le Pen a promis de tout revoir au Front national, du « sol au plafond ». Que lui répondez-vous ?

Chiche ! J’ai envie de la prendre au mot. Et de lui faire confiance. Oui, après le séisme de la présidentielle, il faut qu’elle revoie toute sa copie. Et je ne parle pas des questions d’organisation interne qui ne me regardent pas, n’étant pas membre du FN.

Oui, il faut s’interroger sur ce programme qui, après avoir fait progresser son parti, l’a conduit dans le mur.

Oui, il faut questionner l’incapacité du FN à tisser des liens avec d’autres partis, à l’exception, c’est vrai, de l’éphémère flirt avec Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan.

Oui, il faut revoir toute une rhétorique qui fait peur à un électorat partageant pourtant, sur le fond, nos analyses et, moins souvent c’est vrai, nos solutions. Oui, il faut en finir avec une culture uniquement protestataire et se poser en parti capable de gouverner. Marine Le Pen a raison de dire qu’elle ne veut pas « être l’opposition » mais « être l’alternance ».


Vous applaudissez des deux mains…

Je veux retenir de ce premier discours qui a suivi le départ de Florian Philippot ce qui me semble positif. Même si je m’interroge sur la suite qui sera donnée à cette séparation dans le couple qu’elle formait avec son numéro 2.

Personnellement, je n’avais rien contre Florian Philippot. Même si je me suis toujours opposé à la ligne politique qu’il incarne et n’ai cessé de le dire. Il faut tourner une page. Mais pas pour revenir au Front national de Jean-Marie Le Pen. Pas pour s’enfermer dans un discours uniquement tourné vers le passé, recroquevillé sur une vision paranoïaque du monde.

Des exemples ?

L’Europe n’est pas notre ennemie ! La France est une nation européenne. Et si je suis de ceux qui montrent du doigt la bureaucratie bruxelloise, je ne crois pas que tous nos problèmes trouvent leur origine dans la Commission européenne. C’est un peu court, c’est un peu facile comme explication… Si notre école va mal, c’est la faute à Bruxelles ? Si nos familles sont ébranlées dans leurs fondements mêmes, c’est la faute à Bruxelles ? Si nous esquivons les questions difficiles, cruciales que pose l’islam radical pour l’intégration que nous réclamons, c’est la faute à Bruxelles ? Si nous ne renvoyons pas ceux qui se voient refuser le statut de réfugiés politiques, c’est la faute à Bruxelles ? Qui peut le croire ? Mais c’est tellement commode…

Mais le programme du Front national ne se réduit pas à cela…

J’ai l’impression que vous n’avez pas bien lu ou relu les 144 propositions du programme de Marine Le Pen à la présidentielle. La première était consacrée… à la tenue « d’un référendum sur notre appartenance à l’Union européenne ». Il y avait même une proposition 93 qui proposait de « retirer le drapeau européen » de tous les bâtiments publics… Vous conviendrez que c’est d’une urgence absolue !

Mais c’est anecdotique !

Non, cela témoigne de l’obsession anti-européenne de certains. Et de leur éloignement des préoccupations des Français. Les mêmes qui proposaient, toujours dans ces 144 propositions, de « préserver le statut de la fonction publique », de « baisser de 10 % l’impôt sur le revenu sur les trois premières tranches », d’« augmenter les effectifs de la fonction publique hospitalière », de « maintenir la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures », de « fixer l’âge légal de la retraite à 60 ans »… bref, de raser gratis dès demain matin ! Mais avec quel argent ? En faisant des économies sur notre contribution à Bruxelles ? Demandez donc aux agriculteurs qui bénéficient des aides européennes ce qu’ils en pensent. En mettant un terme à notre politique laxiste en matière d’immigration ? Bien sûr qu’il faut le faire, mais cela prendra du temps – tout le monde le sait – et ne nous permettra pas de payer l’addition d’un programme qui promet tout, tout de suite et à tout le monde.

Vous êtes très sévère…

Cela ne se pose pas ainsi. Je veux que nous gagnions. Mais je ne suis pas prêt à dire n’importe quoi. Si les Français sont si nombreux à bouder les urnes, c’est qu’ils ne nous croient plus. Ils savent bien qu’on ne pourra pas donner plus, toujours plus. Je me flatte d’avoir mené une campagne, lors des élections municipales, sans jamais promettre à quiconque un emploi ou un logement ! Cela ne nous a pas empêchés de gagner ! Peut-être est-ce l’expérience du pouvoir et de ses contraintes – certes, seulement à la tête d’une ville de 77.000 habitants – mais je suis convaincu qu’il ne faut pas promettre ce qu’on sait, par avance, impossible à tenir. Si l’on veut devenir un parti « d’alternance », comme le promet Marine Le Pen, sur cela aussi il va falloir changer. Et laisser les propos démagogiques et racoleurs à Jean-Luc Mélenchon…

Et qui, pour porter ce programme plus réaliste que vous appelez de vos vœux ?

Je n’en sais rien. Il me semble que la priorité est de s’interroger, sans faux-semblants, sur les raisons de nos échecs aux dernières élections. Sans faire de Florian Philippot le bouc émissaire de toutes nos impasses. Je n’ai guère goûté, à ce propos, les coups de pied de l’âne donnés par certains responsables frontistes qui ont attendu que Marine Le Pen baisse le pouce pour se déchaîner contre lui… Aujourd’hui, il est trop tôt pour savoir qui portera nos couleurs, les couleurs d’une droite de bon sens, d’une droite soucieuse du bien commun, d’une droite à la fois attachée à notre identité mais convaincue que, sans l’Europe, la France ne fait pas le poids comme on dit, d’une droite qui sache rassembler, qui ne fasse plus peur, qui trouve les mots qui sauront convaincre. Un grand mouvement conservateur. Conservateur sur les questions de société, l’adoption de la PMA pour les couples homosexuels n’étant qu’une nouvelle étape de la déconstruction de la famille. Conservateur sur les questions économiques, pour ne pas confondre lutte nécessaire contre un interventionnisme étatique étouffant et abdication devant un libéralisme sans limite. Conservateur sur les questions d’environnement pour s’opposer à l’obsession de la croissance et ses méfaits.

Sous le magistère de Marine Le Pen ?

Si c’est pour faire du Philippot sans Philippot… Ne fermons aucune porte. N’excluons aucun scénario. Il est bien trop tôt. Mon seul souci, ma seule ambition : nous faire gagner. Pas pour un parti. Pas pour un homme ou une femme. Mais pour notre peuple. Et si, pour une fois, nous faisions taire nos ego ? Ce serait déjà une première leçon tirée de nos échecs. Et un premier pas vers des victoires à venir.

 

Source : Liberté Politique .com

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