Rien ne nous sera épargné! Outre la saga estivale du vagin de la reine à Versailles… Après Le plug annal, place Vendôme, de McCarthy puis son expo dans l’hôtel de la Monnaie, la Chocolate Factory, qui produisait entre autres horreurs des phalus… en chocolat… puis la “métamorphose” de ces lieux séculaires en ignoble Musée d’Art Moderne avec les délires de Département des Aigles de Marcel Broodthaers, la Monnaie de Paris récidive avec une expo de chiffons et autres gadgets lamentables: Take Me (I’m Yours)! Le concept: contre 12 euros, il vous sera remis un sac Christian Boltanski dans lequel vous pourrez conserver la boîte de sardines pêchée dans la piscine en plastique de Daniel Spoerri, le badge de Gilbert & George (Decriminalise Sex, Ban Religion…) ou la tour Eiffel de Hans-Peter Feldman. Vous pourrez aussi “déguster” les gélules de l’Allemand Carsten Höller tombant une a une du plafond et dont les effets sont inconnus… ou les bonbons de Felix Gonzales-Torres, mais aussi acheter un écu de Fabrice Hyber ou une capsule d’air de Yoko Ono, emporter des exemplaires du journal Point d’ironie, des confettis roses portant l’inscription « Be Quiet » de James Lee Byars ou les cartes de visites noires de Heman Chong… (NDLR)
Décryptage de cet événement avec l’un de ces initiateurs, l’artiste Christian Boltanski ( artiste plasticien français, né le 6 septembre 1944 à Paris. Photographe, sculpteur et cinéaste, connu avant tout pour ses installations, il se définit lui-même comme peintre, bien qu’il ait depuis longtemps abandonné ce support. Boltanski est reconnu comme l’un des principaux artistes contemporains français.)
Pourquoi avoir décidé en 1995 d’organiser une exposition collective et participative ?
Lorsque Hans Ulrich Obrist (commissaire associé) et moi avons initié ce projet à la galerie Serpentine de Londres, c’était l’époque où on se retrouvait dans des cafés et où l’on essayait de rendre l’art accessible au plus grand nombre. On a eu l’idée de faire Point d’ironie, un journal de huit pages confié chaque fois à un artiste, et distribué gratuitement dans les magasins d’Agnès b. On a aussi imaginé des expositions dont on envoyait le mode d’emploi (dans lequel les artistes concernés décrivaient leurs œuvres) aux centres d’art, aux musées. Les conservateurs étaient libres de monter l’exposition à leur convenance, comme les musiciens sont libres d’interpréter une partition. Environ 100 000 expositions ont été organisées dans le monde sur ce principe, celui du Do It.
“Je souffre du professionnalisme du milieu de l’art, tout est devenu tellement sérieux”
Pourquoi reprendre aujourd’hui ce principe de l’exposition ?
Parce que les règles ont changé, et que j’ai envie retrouver ces gens qui créaient tout en s’amusant. Je souffre du professionnalisme du milieu de l’art, tout est devenu tellement sérieux. Il s’agit de célébrer une liberté disparue. L’exposition repose sur des thèmes autrefois exploités par Fluxus ou les dadaïstes, c’est-à-dire le don, la générosité. Mais attention, comme les cadavres exquis distribués par les surréalistes alors que leurs tableaux été exposés dans des galeries ou des musées, la plupart des artistes exposés ici – dont je fais partie – sont aussi achetés à la FIAC…
Les artistes aujourd’hui sont formatés par les écoles d’art. On leur apprend à vendre leur travail, à parler avec un marchand. Alors qu’ils devraient rester des outsiders. Prenez le cas de Wols, un artiste, poète-photographe-peintre des années 1950, mort en mangeant un steak avarié dans un hôtel de luxe. Je ne dis pas qu’il suffit de consommer de la viande avarié pour être un artiste, mais Wols n’est jamais entré dans la même case qu’un Jeff Koons. Tout comme Mario Merz, une sorte de clochard furieux, ou qui avait décidé d’abandonner l’art quand je l’ai rencontré il y a vingt ans et qui participe à « I’m Yours » en tamponnant de son nom des cartes postales de Paris représentant la tour Eiffel.
Quelle est l’œuvre que vous présentez ?
Elle s’intitule Dispersion. Parce que c’est une exposition où tout doit disparaître… Dans la première salle de l’Hôtel de La Monnaie, j’ai empilé des vêtements usagés dans lesquels le visiteur est autorisé à piocher pour remplir le sac en plastique blanc portant le nom de l’œuvre qu’on lui aura donné à l’entrée. On fait voler en éclats un des interdits, le « ne pas toucher » mais on impose aussi une règle : ne prendre qu’un objet par artiste. Ce n’est pas pas un supermarché, ce qu’on propose c’est de participer à une aventure. En 1991, la première fois que j’ai montré Dispersion au 91 Quai de la Gare à Paris, les habitants de ce quartier populaire ont emporté le maximum d’habits sans même garder le sac : ils ne savaient pas qu’il s’agissait d’une performance. Ce qui ne devrait pas être le cas en 2015, avec la proximité de l’école des Beaux arts fréquentée par 30000 étudiants.
Cette exposition parle donc d’un temps qui ne peut pas revenir.
Pas du tout, cette exposition peut inciter les jeunes artistes à retrouver cet état d’esprit. Elle peut provoquer un retournement du marché, faire naître une économie totalement différente basée sur un système d’échanges, comme le site Wikipédia. Roman Ondak ne fait rien d’autre, lui qui échange des objets ordinaires mais porteurs d’une forte charge émotionnelle. Evidemment, l’idée du partage comporte une forte connotation religieuse. Mais il y a un vrai lien entre l’art et la religion. Le rôle de l’artiste, c’est de rendre les mystères visuels. L’art reste un moyen de connaissance. Et dans un monde où chacun cherche à comprendre, chacun cherche la clé qui entrera dans la serrure, je ne pense pas qu’il y ait une bonne clé. De même qu’il n’y a pas une seule forme d’art.