L’autre Simenon de Patrick Roegiers

“L’autre Simenon”, c’est le nouveau roman de Patrick Roegiers, écrivain belge vivant à Paris. Il raconte la vie de Christian Simenon, le frère cadet de Georges Simenon.  Le roman prend quelques libertés avec l’histoire mais le fond est réel: Christian Simenon a bien existé, il aura une destinée moins glorieuse que son aîné. Il est né et a vécu une partie de sa vie à Liège. Devenu rexiste, fidèle de Degrelle, il sera condamné à mort par contumace et mourra en Indochine. (Sélectionné pour deux prix: le Renaudot et le prix Décembre, cet ouvrag est publié chez Grasset.NDLR)

“Un salaud correct, ordinaire”

Le livre démarre par un congrès de Degrelle. Et pour Christian Simenon, homme faible, ce sera une révélation: “Il est lâche” raconte Patrick Roegiers, “pendant l’occupation, il se contente soi-disant de signer des documents mais ce sont des documents qui créent des expropriations, il ferme les yeux sur les délations, il ouvre les lettres … Il ne participe pas à la vie de la société mais il sait tout de la vie de la société. Il ferme les yeux sur les malheurs des autres avec une indifférence monstrueuse. C’est un salaud, c’est un véritable salaud. Un salaud correct. Un salaud ordinaire. Les pires dénonciateurs pendant la guerre ne sont pas nécessairement ceux qui ont vendu des juifs par exemple. Ce sont aussi ceux qui n’ont rien fait. Et Christian choisit la loi du plus faible avec le plus fort. Degrelle, à un moment donné, tourne complètement sa veste, le rexisme devient un véritable parti nazi, proclame la germanité des Wallons. Et Christian, dans le culte du chef qui est le sien, croit à ce que dit un Degrelle. Donc à un moment donné, les êtres sont responsables de leurs actes autant d’ailleurs que l’opportunisme de Georges Simenon finit par être une idéologie et en cela, les deux frères se ressemblent assez bien. L’opportunisme individuel de Georges et au fond la lascivité grégaire de Christian, ce sont les deux faces d’une même médaille”.

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“La mise en lumière de Christian révèle la part d’ombre de son frère”

Mais comment Patrick Roegiers en est-il arrivé à Christian Simenon? Nous lui avons posé la question: “Je me suis intéressé souvent à des personnages qui sont à côté” explique l’écrivain. “Je connaissais l’histoire de Christian Simenon. Et je trouvais incroyable cette histoire d’un frère connu, d’un écrivain célèbre, qui disparaisse sans laisser de trace, sous un faux nom, qui n’a aucune place dans l’histoire, qui disparait de tout. Alors évidemment, comme il est rexiste, qu’il participe à la collaboration pendant toute la guerre, à côté de Degrelle, qu’il participe à la tuerie de Courcelles, chose absolument abominable et que, dans mon roman, il finit à la Légion Wallonie, ça faisait un sujet tout à fait étonnant et assez explosif puisqu’au fond, la mise en lumière de Christian, le personnage inconnu, révèle la part d’ombre de Georges Simenon, l’écrivain très connu”.

“Il aurait pu être un personnage simenonien”

Pour Patrick Roegiers, Christian aurait tout à fait pu être le personnage d’un roman de son frère Georges Simenon: “Christian est d’ailleurs assez bien un personnage simenonien, un personnage quelconque, assez insipide. Moi je l’ai en plus privé de toute vie personnelle. Il ne mange pas. Je décris uniquement comment il est habillé, comment il porte des uniformes, comment il salue. Il est machiné, il est un rouage dans une machine qui va le broyer. Il n’a pas de vie privée, il n’a pas de rêve, pas d’ambition, pas de fantasme. Et Simenon s’est beaucoup emparé de ces personnages petits, les petites gens comme il disait, sans existence. Et c’est évidemment une pâte à modeler terrible pour le rexisme qui s’empare comme ça des êtres sans conscience, des êtres faibles, délaissés par la vie. Au-delà, on peut penser que d’une certaine manière, comme Christian ne réfléchit pas beaucoup, n’a pas de conscience politique ni de désir profond, on peut se demander si tout le roman, l’autre Simenon, n’ait pas agi par Georges Simenon comme une sorte de deus ex machina qui fait agir son frère par procuration”.

Ce qui est interpellant dans “L’autre Simenon”, c’est que le climat décrit n’est pas loin de celui que nous vivons aujourd’hui: “C’est une chose qui m’a énormément frappé” confirme Patrick Roegiers. “Les livres de Degrelle sont interdits en Belgique mais j’ai quand même réussi à en lire un certain nombre, on peut aussi voir des portraits sur youtube … et quand on lit tout ça, cette sorte de logorrhée, ce culte du moi, ce culte du chef est complètement dans l’hystérie populiste que l’on retrouve aujourd’hui dans les partis d’extrême droite. C’est exactement la même démagogie, la même idéologie, le même règne de l’autorité, le règne fou qui fait qu’au fond, l’individu n’a plus aucune place et dépersonnalisé de son individualité, il fait partie d’une sorte de corps immense dans lequel il va se noyer. Et c’est exactement ce qui arrive à Christian”… “Un Christian qui n’avait aucune chance de s’en sortir, sacrifié sur l’autel du rexisme”.

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