Hélène Desportes: la première blanche de la vallée du Saint-Laurent

Il n’y a pas si longtemps les premiers enfants blancs du Nouveau Monde ont longtemps été considérés comme les pères et les mères de nos pays respectifs avec une place centrale dans notre histoire et notre identité. Du scandinave Snorri Thorfinnsson (1005), en passant par l’Espagnol Martin Argüelles (1566), l’Anglaise Virginia Dare (1587), et la Néerlandaise Sarah Rapelje (1625). La Nouvelle-France ne fait pas exception, nous vous présentons donc Hélène Desportes.

L’acte de baptême n’a pas été retrouvé, mais les historiens fixent la date de la naissance d’Hélène Desportes aux environs de 1620. Ethel Bennett dans le Dictionnaire biographique du Canada estime qu’il s’agit «probablement du premier enfant blanc né sur les bords du Saint Laurent». Ses parents, Pierre Desportes et Françoise Langlois seraient arrivés en Nouvelle-France en même temps qu’Abraham Martin (Plaines d’Abraham) et la sœur de Françoise Langlois, Marguerite Langlois, des familles originaires de Dieppe[1].

On sait que Louis Hébert s’est installé à Québec avec Marie Rollet et leurs enfants en 1617. La famille Desportes est arrivée peu de temps après. Elle faisait donc partie des toutes premières à venir s’établir ici.

«En 1619, (…) les ouvriers de la compagnie furent mis à contribution pour travailler aux habitations des récollets, à celle de Louis Hébert et, écrit Champlain, à celles du serrurier et du boulanger. On peut aisément supposer que les familles de Pierre Desportes et d’Abraham Martin avaient aussi leurs maisons. Et avec les maisons, viennent les défrichements et les jardins. Un petit bourg naissait. En 1620, soixante personnes hivernaient..»[2]

Selon Bennett[3], le père d’Hélène «devait jouir d’un certain prestige parmi les habitants et il savait sans doute écrire, car c’est lui qui signa, au nom des habitants, la pétition adressée au roi en 1621».

On sait peu de choses sur cette famille Desportes, mais il semble bien, selon Léon Roy[4], qu’elle soit retournée en France, en 1629, quand les frères Kirke ont occupé Québec. Après cette date, on ne trouve plus traces ici des parents Desportes. Seraient-ils décédés en France? Leur fille, par contre, accompagnée sans doute par son oncle Abraham Martin et de sa tante Marguerite Langlois revient vers 1634 alors que Québec est à nouveau aux mains des Français.

Les parents d’Hélène ne donc sont pas présents le 1er octobre 1634 au mariage de leur fille âgée d’environ 14 ans. Elle épouse Guillaume Hébert, nul autre que le fils de Louis Hébert.

Le monde est bien petit dans la colonie et ce petit monde sera bientôt ébranlé par un événement majeur: Samuel de Champlain va mourir le 25 décembre 1635. Dans son testament, le fondateur de Québec donne tous ses biens à la Vierge Marie à qui il voue une reconnaissance infinie depuis que le Traité de Saint-Germain-en-Laye a redonné Québec à la France.

Il s’exprime en ces termes :

«Je désire donc, ô mon Dieu, que la très saincte Vierge, vostre Mère, soit héritière de ce que j’ay ici de meubles, d’or et d’argent. Je donne donc à la chapelle de ce lieu dédiée en son nom et appelée vulgairement Nostre-Dame-de-Recouvrance tout ce qui se trouvera icy m’appartenir, fors et excepté ce qui s’ensuit, dont je luy demande permission de disposer en faveur de quelques personnes.»[5]

Françoise Desportes faisait partie de ces quelques rares personnes. Elle aurait reçu en héritage des biens qui peuvent nous paraître aujourd’hui bien dérisoires : quelques épingles et des étoffes[6], des objets pourtant fort rares et précieux dans le contexte.

Le 3 novembre 1636, Guillaume Hébert et Hélène Desportes auront un premier enfant, un fils prénommé Joseph. Puis naîtront Françoise, notre ancêtre, le 23 janvier 1638 et Angélique baptisée le 2 août 1639. Hélas, deux mois à peine après la naissance du troisième, Hélène Desportes se retrouve veuve et bien démunie. Le notaire Piraube fait ainsi l’inventaire de ses biens :

«Sa maison est « assise » à Québec proche de l’église paroissiale. On trouve six boisseaux de ble de sarrasin dans sa grange, plusieurs gerbes de pois « en tas secs lesquelles pourries qu’ elles ne pouvoient estre pour lors remuee pour les compter et qu’a longtemps d’icy elles ne peuvent estre battties a cause du petit nombre de personnes et des urgentes occupations ou sont arrestez tous les jours les habitants de cette nouvelle colonie»[7]

On le voit, la petite famille vit bien misérablement. Selon Marcel Trudel, «la vente de ses biens meubles à la criée rapporte 367 livres, mais la maison est jugée délabrée et inhabitable : les réparations coûteraient plus qu’un logis neuf.»[8] Hélène Desportes devra elle-même payer 45 livres pour récupérer un lit de plume, une couverte blanche, deux paires de draps et une paillasse.[9]

Les coutumes de l’époque exigent de protéger l’héritage des enfants du premier lit en nommant un tuteur. Une requête est donc faite par Hélène Desportes pour l’élection d’un garant pour ses trois enfants, descendants de Louis Hébert. Ce document authentique a été conservé, si bien qu’il nous est possible d’y observer clairement la signature de notre ancêtre.

Second mariage

Une femme avec trois enfants ne peut rester longtemps seule dans la colonie. Hélène ne tardera donc pas à conclure un second mariage. Elle épouse Noël Morin le 9 janvier 1640.

Le nom de Noël Morin apparaît pour la première fois en terre d’Amérique au moment de la signature du contrat de mariage en décembre 1639. Ce charron originaire de Brie -Comte-Robert avait été recruté par Robert Giffard. Le gouverneur Montmagny lui concèdera une terre de quarante perches dans la haute ville de Québec à l’emplacement de la maison de Guillaume Hébert.[10] Douze enfants naîtront de cette union.

Ainsi, à force de labeur et de persévérance, malgré les embûches et les nombreuses bouches à nourrir, la situation de la famille s’était grandement améliorée depuis le décès du premier mari d’Hélène Desportes.

Cette contrée de forêt où elle avait débarqué étant enfant s’était peuplée peu à peu. Les hivers avaient été rudes. Il avait fallu se défendre contre les Iroquois, puis les soldats du régiment de Carignan étaient arrivés à la rescousse. Avec la venue des filles du roi, des familles s’étaient formées, des bourgs et des villages se construisaient. Première enfant européenne née ici, Hélène Desportes, sage-femme, elle-même mère de quinze enfants, aura non seulement assisté à la naissance du peuple du Québec, mais elle y aura aussi grandement contribué. De nombreux Québécois la comptent parmi leurs ancêtres.

Extrait d’un texte de Marie Vaillancourt sur http://histoiresdancetres.com/

[1] Fichier Origine.

[2] Carpin, Gervais, Les migrations vers la Nouvelle-France au temps de Champlain, Champlain La naissance de l’Amérique française sous la direction de Raymonde L’Italien et de Denis Vaugeois, Septentrion p. 172.

[3] Bennet, Ethel M.G. Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1

[4] Roy, Léon, Desportes et sa descendance, Mémoires de la société généalogique canadienne-française, vol 2, 1946-1947. P. 167.

[5]Citation de Samuel de Champlain par Deslandes, Dominique, Samuel de Champlain et la religion, Champlain La naissance de l’Amérique française sous la direction de Raymonde L’Italien et de Denis Vaugeois, Septentrion p. 202.

[6] Ibidem.

[7] Langlois, Michel, Dictionnaire biographique des ancêtres québécois, Vol II, p. 464.

[8] Trudel, Marcel, Catalogue des immigrants.

[9] Langlois, Michel, Dictionnaire biographique des ancêtres québécois, Vol II, p. 464.

[10] Langlois, Michel, Langlois, Michel, Dictionnaire biographique des ancêtres québécois,vol III, p. 483.

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