L’épopée johannique en BD


Reynald Secher publie une nouvelle bande dessinée, consacrée à Jeanne d’Arc.

— Quelles traces a laissées Jeanne d’Arc ?

— Elle est un des personnages les plus célèbres de notre histoire. Contrairement à une légende bien ancrée, jamais elle n’a été oubliée entre le XVe et le XIXe siècle. Son souvenir a toujours été entretenu localement. A Domrémy où sa maison, la chapelle de Bermont et l’église paroissiale où elle aimait prier ont été religieusement conservées. A Orléans qui, chaque année depuis 1430, lui rend hommage, tous corps confondus (religieux, militaire, civil). A Rouen, Chinon, Bourges… Son souvenir est très présent en littérature (environ 35 000 livres) à toutes époques. Si les parutions sont limitées jusqu’à la Révolution, elles se multiplient au XIXe et la première moitié du XXe siècle, atteignant un paroxysme entre 1790 et 1920. Deux raisons principales expliquent ce phénomène : d’abord, la défaite de Sedan et la perte de l’Alsace-Moselle rendent plus que jamais actuel le message patriotique de Jeanne, devenant alors l’héroïne par excellence de la patrie, d’autant qu’elle est lorraine. Ensuite, l’hommage que lui rend l’Eglise catholique, voulant ainsi marquer l’amour particulier de Dieu pour la France, amour ancré dans le baptême de Clovis. C’est tout logiquement qu’en 1869, Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, introduit sa cause de béatification : Jeanne est déclarée vénérable en 1894, béatifiée en 1909, canonisée en 1920, puis proclamée patronne secondaire de la France en 1922. Reconnue et honorée par l’Eglise et la République, Jeanne devient alors un sujet incontournable du cinéma, du théâtre, du cirque, de l’opéra, de spectacles divers et, plus stupéfiant, un objet de publicité multiforme et multidirectionnel et même un label au moment où commence l’industrialisation en France. Ce phénomène d’abord français devient universel avec le développement des échanges internationaux.

— Cependant sa reconnaissance nationale a été assez tardive…

— C’est vrai, elle est due à L’Averdy (1724-1793) qui trouve 28 manuscrits du procès et les publie en 1790. L’émotion est vive, suscite un véritable culte tant de la part des révolutionnaires, qui en font une héroïne populaire dont Marianne est le fruit, que des royalistes. Reconnue comme défenderesse de l’unité de la France face à l’occupant, Napoléon Ier en fait un symbole contre les Anglais, la Restauration un symbole contre les Alliés occupant le Royaume, la IIIe République un symbole contre les Allemands, les résistants de la Seconde Guerre un symbole contre l’oppression allemande, autant de visions que reprendront à leur compte bon nombre de peuples à travers le monde face aux oppressions notamment communistes. Même les Anglo-Saxons l’ont érigée en symbole de résistance pendant la Grande Guerre. Récemment, les féministes l’ont reprise à leur compte en tant que femme s’étant imposée dans un milieu viril sans cesser d’être elle-même.

— Quel est le message de Jeanne ?

— On connaît peu ou mal son message. Pour bien le saisir, il faut comprendre le contexte historique de la grande crise opposant les Valois aux Plantagenets et, à travers elle, la France et l’Angleterre de 1337 à 1453. La guerre de Cent ans correspond à une addition de conflits distincts, entrecoupés de trêves plus ou moins longues, 61 ans contre 55 ans d’activités militaires. Trois causes favorisent son émergence : une crise démographique majeure conjuguée à une crise économique ; un conflit dynastique pour la couronne de France à la mort, en 1328, de Charles IV, décédé sans héritier mâle ; les affrontements permanents entre Capétiens et Plantagenets pour la souveraineté et le contrôle de la Guyenne et de la Flandre. Le déclenchement du conflit est d’origine féodale. En 1337, le roi de France, Philippe VI, confisque à son profit le duché de Guyenne. Le roi d’Angleterre, Edouard III, riposte en revendiquant la couronne de France. Si de 1337 à 1380, après de terribles revers, la France remporte des succès, à partir de 1411, elle connaît défaite sur défaite notamment à Azincourt (1415) où disparaît le fleuron de la noblesse française, tant et si bien qu’elle est condamnée à signer le traité de Troyes (1420) excluant le dauphin Charles de la succession de la couronne de France au bénéfice du roi d’Angleterre. En 1422, la mort successive des rois d’Angleterre et de France laisse en présence deux prétendants : le dauphin Charles (fils de Charles VI) à la tête d’un vaste territoire et presque sans armée, et Henri VI (fils d’Henri V), d’autant plus puissant qu’il a le soutien des Bourguignons. C’est dans ce contexte qu’apparaît Jeanne. Appelée par « les voix venues du ciel », elle conforte le dauphin dans sa légitimité et le fait sacrer à Reims le 17 juillet 1429. Dès lors, fort de ce sacre et reconnu comme roi, Charles VII réussit à casser l’alliance anglo-bourguignonne à son profit, amplifie la guerre, bat les Anglais tant et si bien qu’en 1453, ils ne conservent plus en France que Calais. Si aucun traité n’est signé et qu’Henri VI continue à s’appeler roi de France, la guerre de Cent ans est, de facto, finie. Quant à Jeanne, on connaît sa fin.

— Quelles sont les spécificités de votre BD ?

— Elle se décompose en deux grandes parties. La première est la BD proprement dite qui raconte en 44 planches l’aventure de Jeanne. La seconde, soit 15 pages, nous amène sur ses traces, à Domrémy, Rouen, l’île Bouchard, etc., relate son procès et le retour de son anneau en France, au Puy du Fou, présente ses armes et ses signatures pour finir par les prières. L’abbé J. Olivier, sur quatre pages, traite de la question de fond de savoir si Jeanne est prophète et sainte. Cette BD, très complète, s’inscrit dans la logique éditoriale de ma maison d’édition qui s’appuie sur les quatre fondamentaux de l’enseignement classique de l’histoire : la chronologie, la cartographie, les hommes et les événements.

 

Propos recueillis par Tugdual Fréhel pour Présent

  • Secher, Lehideux, Kiéfer, Jeanne d’Arc, RSE, 48 p.

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