Monsieur le Roi,
Je n’aurai garde de revenir sur les conditions si particulières de Votre séjour sur la Côte d’Azur. Elles obéissent à de très hautes considérations politiques qui ressortissent du système connu sous le nom de Françafric. Mais mon propos n’est pas d’en discuter aujourd’hui. Il m’a paru plus nécessaire et plus urgent d’attirer la bienveillante attention de Votre Majesté sur le fâcheux incident survenu dès le deuxième jour de vos vacances. Vous ne manquerez pas, j’en suis sûr, de faire en sorte qu’il ne se reproduise pas.
Je ne sais, dans l’état actuel de mes informations, si c’est à l’initiative de Votre Majesté elle-même ou d’un quelconque serviteur zélé de son entourage qu’une jeune femme membre de la Compagnie républicaine de sécurité chargée d’assurer Votre protection a été invitée à ne pas contrevenir par sa présence aux préceptes sacrés du Prophète – qu’Il soit béni – et de son Livre sacré.
Il découle, de toute évidence, des prescriptions de Votre religion que la femme, être inférieur et impur qui n’est admis dans votre royaume ni à exercer la plupart des métiers, ni à sortir seule, ni à conduire une voiture, ni d’une manière générale à disposer d’elle-même, ne saurait être habilitée à surveiller Vos ébats, et d’autant moins que cette éhontée sans pudeur ne craint pas d’endosser des vêtements masculins. Gardien des Lieux saints de l’islam, Vous n’avez pas à être offusqué par l’intempestive intrusion dans Votre immédiate proximité de seins qui n’ont rien de respectable. Comme l’a si bien dit Al Tartoufi, « Par de pareils objets les âmes sont blessées/Et cela fait venir de coupables pensées ». Vous avez donc eu à Vallauris la même saine réaction que Vous auriez eue à La Mecque, à Médine ou à Riyad et il n’est pas un véritable croyant qui ne Vous comprenne et qui ne Vous approuve. Sea, sex and sun, c’est bon pour les mécréants.
Je crains pourtant qu’il y ait là un petit malentendu que je souhaiterais dissiper en faisant admettre à Votre Majesté qu’il serait de son intérêt bien compris de se montrer, dans les jours qui viennent, plus accommodante et plus indulgente pour nos mœurs, eu égard au choix qu’Elle a fait et qui nous honore si grandement de prendre un peu de repos en terre chrétienne.
Votre Majesté, en effet, est en France, et si la République a cru devoir lui concéder, pour quelques semaines, la jouissance exclusive d’une plage habituellement ouverte au public, cette faveur exceptionnelle n’entraîne aucune clause d’exterritorialité. Il s’ensuit, évidemment, que ce ne sont pas Vos lois mais les nôtres qui continuent de prévaloir sur notre sol.
Que ce soit en Iran, que ce soit dans Votre pays, Vous êtes bien placé pour savoir que toute femme, fût-elle journaliste ou ministre, voire chef d’État, n’est admise à l’intérieur de Vos frontières, de Vos palais ou de Vos studios de télévision qu’à condition de respecter un minimum de décence, et donc de se couvrir les bras et les cheveux. Vous et Votre police religieuse veillez jalousement à la prohibition de l’alcool, à l’interdiction de toute rencontre entre Vos femmes et nos hommes. Les programmes mêmes des rares établissements scolaires occidentaux tolérés dans les Émirats – il n’y en a pas encore dans Votre royaume – sont expurgés de toute notion incompatible avec l’islam… Ce sont Vos lois. Si consternantes, si grotesques, si aberrantes, si inhumaines que nous les jugions, nous ne les transgressons pas là où elles sont en vigueur. Accordez-nous la réciproque.
Sachez que, chez nous, une femme a le droit de contester la parole d’un homme, que la sienne est prise en considération à égalité, qu’elle peut, si elle y est habilitée, enseigner, soigner, verbaliser, arrêter, juger, condamner même un homme. Apprenez que, sur nos plages, depuis plus d’un siècle, on ne s’habille pas pour prendre un bain.
S’il devait Vous arriver de Vous risquer en dehors de Votre propriété et de son annexe, ne faites pas d’observations sur leur tenue ou leur manque de tenue aux passants et passantes que Vous pourriez croiser dans les rues ou sur le rivage de Vallauris. Abstenez-Vous de condamner à dix ans de prison et mille coups de fouet les impies qui auraient un peu forcé sur l’apéro ou commandé un sandwich au jambon. Et si d’aventure Vous veniez à rencontrer un lecteur ou, pire, un rédacteur de Charlie Hebdo, retenez le bras du prince ou du garde du corps qui voudrait lui apprendre la crainte de Dieu à coups de kalachnikov.
Rentré chez Vous, Vous pourrez de nouveau, hélas, agir suivant Votre bon plaisir. Vous êtes chez nous. N’en abusez pas.