Alors que le CSA a réprimandé plusieurs chaînes de télévision pour avoir relayé la campagne «Chère Future Maman» diffusée à l’occasion de la journée mondiale de la trisomie 21, le député Jean-Frédéric Poisson* dénonce l’hypocrisie et le manque de respect de l’organisme.
Monsieur le Président,
Il y a quelques jours, vous avez réprimandé des chaînes de télévision (TF1, M6, Direct 8, Canal plus) pour avoir relayé la campagne «Chère Future Maman» diffusée à l’occasion de la journée mondiale de la trisomie 21, mettant en valeur la capacité des enfants trisomiques à propager du bonheur autour d’eux.
Évidemment, cette décision a provoqué un très grand émoi chez les familles de personnes atteintes de trisomie 21, ainsi que chez tous ceux qui accompagnent les enfants et les adultes atteints de cette maladie.
Vous dites avoir voulu répondre à des téléspectateurs qui auraient été gênés par ce message. Et voici votre principal argument: les chaînes de télévision doivent veiller à ne pas diffuser des films dans ce contexte, dans la mesure ou de tels messages sont susceptibles de ne pas susciter une «adhésion spontanée». En prenant connaissance de cet argument, j’ai pensé que l’auteur de la dépêche de presse vous voulait du mal: parce que tout de même, il est difficile de trouver, de la part d’un organisme officiel, censé opérer la régulation et maintenir l’équilibre, une réponse aussi carrément à côté de la plaque, et aussi faiblarde sur le plan juridique.
Mon premier reproche est que vous avez failli à votre mission. Qu’on puisse être gêné par un tel film, diffusé dans le cadre de la journée mondiale de trisomie 21, n’est pas étonnant. En règle générale, l’homme moderne est gêné par toute forme de faiblesse, et prend d’innombrables précautions pour qu’aucune ne se retrouve sous ses yeux. Mais précisément, la mission qu’a le CSAde garantir le pluralisme vous intimait de rappeler à vos interlocuteurs que les personnes atteintes de trisomie ont les mêmes droits que les autres personnes: je veux dire le même droit de cité, le même droit à être vues, à être respectées, à être aidées, donc le droit aussi à ne pas être censurées quand elles sont montrées à la télévision.
Pour des raisons invraisemblables, vous avez voulu vous réfugier derrière ce fameux «n’est pas susceptible de provoquer une adhésion spontanée». C’est sans doute une boutade… Réfléchissons un peu, en effet. De deux choses l’une: ou bien c’est un argument de principe, ou bien c’est un argument de circonstance.
Raisonnablement, votre position ne peut pas être un argument de principe. En effet, si vous deviez réprimander toutes les chaînes de télévision et de radio au motif qu’elle ne devraient pas diffuser des émissions «qui ne sont pas susceptibles de provoquer une adhésion spontanée», je vous laisse imaginer les coupes claires qu’il faudrait opérer dans toutes les grilles de programmes.
Auriez-vous par hasard l’intention de supprimer les spots publicitaires qui font des femmes de véritables objets de consommation ou de promotion? Voulez-vous voir disparaître des écrans de télévision les grands prix de formule 1, au motif que certains esprits critiques y voient à la fois une débauche d’argent insupportable en même temps que des atteintes à la protection de l’environnement? Ou certains films promus par lasécurité routière qui montrent d’insoutenables images d’accidents de circulation? Êtes-vous prêt à édicter les mêmes réserves à l’égard de certaines émissions qui militent ouvertement en faveur de la consommation de stupéfiants, celles-ci parfois au mépris des lois en vigueur? Je ne parle même pas des émissions à caractère politique ou religieux, qui ne visent pas nécessairement à provoquer l’adhésion de tous…
Ces exemples montrent, si besoin était, que votre argument ne peut pas être considéré comme un principe, sauf à ce que l’application de ce principe tue l’ensemble de la sphère dont vous avez la charge. Et laliberté d’expression avec. Je sais bien que vos amis au pouvoir n’aiment pas ce qui ne leur ressemble pas, mais personne n’est obligé de les imiter, ni de devancer leurs désirs. C’est donc un choix de circonstance. Et c’est sans doute pire.
C’est pire, en effet, car le premier rôle de l’institution, en l’espèce des organismes institutionnels, est de rappeler que le droit s’enracine dans la situation du faible pour le protéger du fort. Peut-être votre position est-elle fondée en matière purement juridique.
A vrai dire, cela m’importe peu. La décision que vous avez prise fait primer, comme trop souvent dans la société occidentale, des impératifs de forme et de procédure sur la défense des personnes et leur dignité. Vous donnez l’impression de l’avoir oublié.
Il me semble que les Français sont en droit d’attendre de la plus haute autorité audiovisuelle de notre pays une attitude plus respectueuse du choix des familles qui acceptent d’accueillir dans leur sein des personnes dont la différence enrichit notre société, même si parfois, effectivement, elle peut en être désemparée.
Votre décision fait apparaître, en ces temps de silence présidentiel, socialiste, et gouvernemental, la seule double cohérence que je suis prêt à reconnaître au Chef de l’Etat: le mépris de la souffrance des familles, et la capacité à trouver des soutiens qui ne risquent pas de modifier cette trajectoire. Quel dommage! Et quelle honte!
*Jean-Frédéric Poisson est le Président du parti Chrétien-Démocrate. Il est également député des Yvelines.