Macron, “un adversaire redoutable”!

Le journaliste et politologue François Bousquet nous livre son analyse du nouveau gouvernement Macron et évoque les conditions à réunir pour bâtir une véritable force de conviction à droite.

— Certes élu par défaut face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron a réussi un formidable hold-up électoral. Aurait-il été sous-estimé ?

— Sans aucun doute. Après l’hyperprésidence Sarkozy et l’hypoprésidence Hollande, on attendait l’uber-présidence Macron : la France comme une « start-up ». C’est du moins ainsi qu’En marche ! a été conçu, à l’instar d’un objet marketing, produit de synthèse des doléances françaises recueillies par des « marcheurs » à travers des dizaines de milliers d’enquêtes de terrain passées ensuite au crible d’algorithmes savants. Le candidat Emmanuel Caméléon en est le résultat, il dessinait le portrait-robot d’une France pixélisée. Une sorte d’hologramme. Ainsi jugea-t-on sa campagne et ses meetings qui brassaient du vent, à mi-chemin du prêche télévangéliste et du coaching de groupe. Mais le président élu nous a réservé quelques surprises. Il a représidentialisé la fonction en se glissant dans les habits du monarque, tout en administrant aux sceptiques une leçon sur la décision en politique, l’anti-Hollande, et la verticalité du pouvoir, l’anti-Sarkozy. Il sera un adversaire redoutable, obligeant chacun à hisser le niveau et à ne pas se contenter de réciter les litanies sur la banque Rothschild. Sans cela, on en prendra pour dix ans.

— La composition gouvernementale semble refléter une approche plus technocratique qu’idéologique. Macron tente-t-il de resserrer d’un cran supplémentaire la corde sur le cou du politique ?

— C’est la culture de l’efficacité propre à l’univers entrepreneurial et au pragmatisme anglo-saxon. Pas de personnalités clivantes comme Christiane Taubira et Najat-Vallaud-Belkacem, acquises à la déconstruction. Un premier cercle composé de « technos » formés à l’ENA offrant un profil identique au sien. Peut-être, à travers ces nominations, a-t-il souhaité se prémunir de l’amateurisme présumé des membres de la société civile qu’il a agrégés autour de lui. Etonnamment, son Premier ministre n’est jamais qu’un clone de lui-même. Or, jusqu’à présent, chaque président prenait soin de choisir un chef du gouvernement qui ne lui ressemblait pas. C’était l’alliance rassurante du grand et du rond : De Gaulle et Pompidou, Giscard et Barre, Mitterrand et Mauroy, Chirac et Raffarin.

Sur la question de l’effacement de la politique, Marcel Gauchet fait remarquer qu’on assiste au contraire à son retour au premier plan après un cycle de plus de trente ans dominé par l’économisme comme grille d’interprétation du monde. Le paradoxe, c’est que ce retour d’Homo politicus est porté en France par Homo œconomicus, quand bien même il y aurait derrière tout cela une communication bien maîtrisée.

— Peut-on craindre qu’il poursuive le grand projet progressiste ou se limitera-t-il à gérer la France comme un « business » ?

— Même s’il ne pourra pas se contenter d’être seulement l’obligé de ses mandants, les lobbies et autres patrons du CAC 40, il ne manquera pas de leur renvoyer l’ascenseur, et le MacronLeaks a montré sans ambiguïté d’où venait l’argent. Son univers mental demeure celui de la commission Attali. C’est la société liquide, déterritorialisée, un monde post-industriel, off-shore et ubérisé, rebaptisé « économie de la connaissance ». Rien d’étonnant à ce qu’il n’y ait pas de ministère de l’Industrie. Dans ce schéma de pensée, la France périphérique est sacrifiée. Ce parti pris en faveur des capitaux flottants, de la logique des flux, se vérifie jusque dans sa volonté de taxer l’ISF sur la seule base de la « rente immobilière ». C’est la propriété foncière, autrement dit enracinée, qui est visée.

Même chose du côté du multiculturalisme. Il a beau s’en défendre, il n’y a pas dans son esprit de culture centrale, la grande culture française. Il a, par ailleurs, hérité de son maître Paul Ricœur une obsession pour la question du mal. C’est elle qui l’a conduit à voir dans la colonisation un crime contre l’humanité, et on sait déjà qu’il sera le parfait complément de Merkel dans l’accueil des migrants.

Demeure néanmoins une inconnue : son incroyable labilité. Paul Valéry recommandait d’isoler le mot qui revient le plus souvent dans un discours pour en dégager le sens. Chez Macron, c’est « en même temps ». Il est « en même temps » de droite et de gauche, il défend « en même temps » la verticalité et l’idéal horizontal de délibération démocratique, Brigitte Trogneux et Jeanne d’Arc. Il devra pourtant choisir.

— La droite va probablement se limiter à cogérer peu ou prou le pays avec le gouvernement, le FN quant à lui ne semble pas sortir du piège de l’économisme et concentre ses critiques sur le code du travail et le pouvoir d’achat…

— LR et le FN se sont laissé piéger par Macron et Mélenchon en se positionnant sur le terrain de l’économisme, qui a nourri l’idée d’une convergence possible et où leur légitimité est contestable. C’est cette convergence économique qui a permis à Macron de débaucher Edouard Philippe, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, privant les LR d’angles d’attaque. Pour ce qui est du FN, l’emprise des frères Philippot semble avoir été totale tout au long de la campagne. Sortie de l’euro, alliance chimérique avec la France insoumise, euphémisation du discours sur l’immigration. Faux sur toute la ligne. On n’attendait plus que le « Travailleurs, travailleuses » pour se croire revenu au bon vieux temps d’Arlette Laguiller. Pire : à ne se placer que sur le terrain de l’économisme, le FN s’est créé de lui-même un rival susceptible de mordre sur l’électorat populaire. Ce n’est pas le mea culpa de Marine Le Pen qui changera quoi que ce soit.

— Y a-t-il – comme le déclare Marion Maréchal-Le Pen dans son « testament politique » – une majorité dormante rassemblant classes moyennes et populaires autour de la priorité identitaire ?

— Il n’a échappé à personne que la stratégie que recommande Marion Maréchal-Le Pen est l’exact contraire de celle adoptée par sa tante durant la campagne. Elle en appelle à la ligne Buisson – l’alliance du populisme et du conservatisme – qui a abondamment prouvé son efficacité électorale. C’est l’alliance chère à la droite hors-les-murs, à qui il ne manque qu’une personnalité d’envergure, ce qui n’est pas rien, pour réintégrer les murs.

Propos recueillis par Pierre Saint-Servant pour Présent

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