Début mars 2017, le réseau associatif « Excision, parlons-en ! » a lancé en France une nouvelle campagne de prévention de mutilations sexuelles féminines pourtant totalement étrangères aux traditions européennes. En réalité, les pouvoirs publics ont été amenés à légiférer depuis plusieurs décennies pour tenir compte de la rencontre entre des pratiques coutumières issues de l’immigration le plus souvent africaine et notre conception des droits de l’individu. Au-delà de la sensibilisation de l’opinion, c’est bien une forme de choc des civilisations à laquelle nous assistons sur notre sol et qui doit nous amener à réaffirmer notre identité.
Des campagnes de sensibilisation de l’opinion à répétition.
C’est dans les années 1980 que les premières études ont été réalisées sur la réalité de l’excision en France. Le phénomène est apparu lorsque l’immigration s’est féminisée après le décret du 29 avril 1976 qui a institutionnalisé le regroupement familial. On évaluait alors entre 24 000 et 27 000 le nombre de femmes adultes qui avaient subi une mutilation sexuelle. Vingt ans plus tard, en 2004, une enquête de l’Institut national des études démographiques évoquait « environ 53 000 femmes », tandis qu’en 2017, ce sont 60 000 femmes excisées qui vivraient sur le territoire français. Une progression de 140 % en 35 ans !
Pour les peuples qui les pratiquent, les mutilations sexuelles féminines trouvent leur justification dans des critères beaucoup plus identitaires que religieux. Pour les femmes, il s’agit de préserver la virginité jusqu’au mariage, puis de prévenir les relations adultérines. A titre secondaire, il peut s’agir de devenir une « vraie » femme, le clitoris étant censé représenter un organe masculin qu’il faudrait ôter. L’excision s’inscrit enfin dans la construction de l’appartenance à un groupe ethnique et à une culture propre. Pour les hommes, l’excision est décrite sous un aspect festif et cérémoniel, un rituel de passage qui serait le pendant de la circoncision.
Ces agissements, dont le fondement est souvent initiatique, ont été à l’origine de campagnes de prévention qui sont d’abord révélatrices de l’émotion suscitée dans les sociétés occidentales par la découverte de pratiques entièrement étrangères à notre conception du droit de l’individu à son intégrité physique, mais aussi à la représentation européenne de la femme, dont l’image idéalisée dans la mythologie gréco-romaine, dans la figure mariale, dans le roman courtois, dans la préciosité des salons ou dans l’éternel féminin ne saurait porter la moindre trace de mutilation.
Un édifice législatif qui laisse perplexe.
Les mutilations observées chez les personnes issues de l’immigration la plupart du temps subsaharienne, mais aussi proche orientale ont amené les pouvoirs publics à intervenir sur le fondement légal de l’atteinte à l’intégrité de la personne. Depuis la première décision de justice survenue en 1979, une quarantaine de procès ont eu lieu, à l’encontre des exciseuses comme à l’encontre les parents. Cette répression a entraîné une forte diminution de l’excision pratiquée en France, mais elle a aussi déplacé le problème, l’excision étant dorénavant réalisée dans le pays d’origine à l’occasion d’un retour forcé ou d’un voyage.
La réponse judiciaire s’est alors étendue et internationalisée : Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en 1984, Charte africaine des droits de l’homme et des peuples en 1986, Convention internationale sur les droits de l’enfant en 1990, Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul) en 2014. Les mutilations sexuelles sont condamnées par la loi dans 24 des 29 pays d’Afrique ou du Moyen-Orient où elles sont pratiquées.
En France, l’édifice juridique a conduit à une protection quasi « internationalisée ». Ainsi, le Conseil d’Etat a posé qu’une jeune fille née en France peut se voir reconnaître la qualité de réfugiée « à raison du risque d’être exposée à la pratique de l’excision dans le pays dont elle a la nationalité. » De même, les parents d’enfants exposées à un risque de mutilations sexuelles féminines peuvent prétendre au statut de réfugié s’ils démontrent qu’ils encourent un risque de persécutions du fait de leur opposition aux mutilations sexuelles. Une circulaire de 2013 précise que les parents d’enfants bénéficiant de la protection au titre de l’asile doivent être systématiquement invités à demander pour eux-mêmes un titre de séjour.
Une forme de choc des civilisations.
Les études réalisées sur le sujet montrent que la question de l’excision en France est liée à celle de l’immigration et, plus précisément, de la féminisation de l’immigration originaire des pays d’Afrique subsaharienne. Le constat des mutilations en nombre croissant s’explique par les variations dans les flux migratoires qui ont amené de nouvelles populations sur le territoire français. Les mêmes études montrent que la pratique de l’excision n’est pas tant liée à la religion qu’à des stéréotypes profondément enracinés et inhérents à des communautés patriarcales. Il s’agit donc d’une tradition culturelle destinée à concrétiser l’appartenance à une communauté au moyen d’un marquage corporel.
Les mutilations sexuelles féminines sont parfaitement étrangères à la civilisation européenne. Absentes des textes antiques, puis chrétiens, elles sont réprouvées et condamnées au nom des Droits de l’homme et du respect de l’être humain. Les théories de certains médecins qui, au XIXe siècle, préconisaient la clitoridectomie pour lutter contre l’onanisme n’ont rencontré aucune adhésion. Certains anthropologues, notamment américains, qui admettent les mutilations au nom du relativisme culturel ou de la liberté de culte, ou encore qui comparent l’excision à une opération de chirurgie esthétique, restent isolés. C’est donc à une forme de choc des civilisations que l’on assiste, fondé sur l’incompréhension en raison de l’incompatibilité de cultures identitaires radicalement différentes.
Ce rejet d’une pratique ancestrale étrangère au nom de la conception des droits de l’homme dans les sociétés française et occidentales appelle certaines questions : Doit-il exister une hiérarchie entre l’universalisme et le relativisme civilisationnel ? Pourquoi une campagne nationale médiatisée dans un pays où les excisées représentent 0,09 % de la population ? Les édifices juridiques national et international n’ayant fait que déplacer le problème sont-ils appropriés ? Quels regards devons-nous porter sur notre civilisation dans ses rapports avec les autres grands blocs civilisationnels ?
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La pratique des mutilations sexuelles féminines semble remonter à la nuit des temps et s’inscrit au sein de civilisations fort éloignées de la nôtre. Cette pratique devrait nous amener à nous interroger sur notre propre identité afin de déterminer ce qui, dans la plus longue durée, nous définit en tant qu’êtres humains à part entière, mais aussi en tant que dépositaires d’un héritage historique, philosophique, esthétique et culturel que nous avons à conserver et que nous aurons à transmettre. En 1986, dans un ouvrage intitulé « L’identité de la France », l’historien Fernand Braudel écrivait que « l’immigration pose à la France une sorte de problème « colonial », cette fois planté à l’intérieur d’elle-même. » Savoir qui nous sommes et ce que nous sommes nous permettra seul de trouver les réponses appropriées aux phénomènes migratoires et non à les subir.
André Murawski
Conseiller régional Hauts-de-France