Le musée fait partie de notre imaginaire et constitue la meilleure façon de sanctuariser un héritage et de permettre à un peuple de rêver à son passé ou d’admirer celui des civilisations perdues. Mais c’est aussi, parfois, un bel outil de propagande politique. Ce que n’a pas manqué d’observer Audrey Azoulay, en mettant récemment en place un comité – un machin – intitulé « Musées du XXIe siècle » et destiné à amuser la galerie sans, bien sûr, répondre aux questions sur l’avenir des musées dans notre pays, qu’il s’agisse de leur fréquentation, de l’acquisition de nouvelles œuvres d’art ou de la fuite à l’étranger de nos trésors nationaux.
S’appuyant sur les recommandations de l’Unesco, la spécialiste du cinéma sous toutes ses formes restitue un discours aseptisé, politiquement correct, dans lequel on cherche en vain un souffle d’esprit. Elle y va de son petit couplet sur la destruction des trésors de Tombouctou ou celle, plus récente, des temples de Palmyre, sans jamais désigner le coupable : l’islam. Curieusement d’ailleurs, elle ne souffle mot de l’attentat du musée du Bardo à Tunis, qui fit tout de même 24 morts en mars 2015. Elle se garde bien d’évoquer également le sort du musée des Tissus à Lyon, voué à une disparition prochaine faute d’aide suffisante et d’une réelle volonté politique, mais noie le poisson en proposant des « pistes de réflexion pour le musée de demain ». Elle sort alors quatre lapins de son chapeau : l’inévitable « musée éthique et citoyen », le « protéiforme », le musée « inclusif et collaboratif » et le musée comme « écosystème professionnel ». Comprenne qui pourra ! Mais ce discours convenu cadre fort bien avec le personnage de cette femme qui a grandi dans la culture de l’audiovisuel et du paraître.
Toujours à propos de musées, Mme le ministre s’est récemment vanté d’avoir, avec l’aide de généalogistes, rendu un fusain de Degas à la fille et aux petites-filles d’un certain Maurice Dreyfus, fusain que des officiers allemands avaient saisi chez lui avec deux autres œuvres d’art qui lui seront restituées après 1945. Audrey Azoulay, partie pour Jérusalem avec Manuel Valls préparer « L’Année 2018 France-Israël », compte bien continuer à « traiter comme il se doit de ce triste dossier hérité du siècle dernier ». Visiblement avec le même succès que celui qui a consisté à repêcher, in extremis, pour le festival de Cannes le film de son ami BHL ou le culot avec lequel elle aurait forcé, en février 2015, Rémy Pfimlin, alors président de France Télévision, à acquérir les droits d’un film d’Alexandre Arcady, 24 jours, pour les chaînes de service public. Est-ce d’ailleurs un hasard si Arcady était également du récent voyage de Valls en Israël ?
Pour en finir avec les musées, signalons enfin qu’elle est intervenue d’étrange manière dans le dossier de rénovation-extension du musée lorrain de Nancy, contesté d’ailleurs par de nombreux Nancéens et des associations de défense du patrimoine. Sans prendre la peine de consulter la Commission nationale des monuments historiques, elle cautionne dans une lettre au maire de Nancy les projets de l’architecte et consistant notamment à détruire des écuries du XVIIIe siècle, classées monument historique. A quand le prochain dérapage ?
Lors de l’examen en deuxième lecture du projet de loi sur le Patrimoine, les 21 et 22 mars derniers à l’Assemblée nationale, celle qui avait confié au Journal du dimanche du 14 février sa nostalgie des vacances à Essaouira dans la « splendeur des années 80 », cet âge d’or exempt de « querelles identitaires », se réjouissait publiquement des modifications apportées par la Commission des affaires culturelles du Palais-Bourbon aux amendements et autres compléments législatifs que venait de voter le Sénat. Des amendements qui s’opposaient à la dispersion du patrimoine national et qui voulaient renforcer sa protection.
Pour ne prendre que quelques exemples, la nouvelle mouture du texte prévoit ainsi la fin de l’inaliénabilité des domaines nationaux qui pourront ainsi être cédés à des personnes publiques – notamment des communes – habilitées à les vendre au privé. Un dépeçage commis donc en toute légalité, sans que cela ait semblé émouvoir l’ancienne patronne du Centre national du cinéma. Laquelle d’ailleurs n’a pas émis, non plus, la moindre protestation lorsque son gouvernement a obtenu que l’implantation d’éoliennes à une distance de dix kilomètres de monuments historiques ou de sites patrimoniaux ne soit plus soumise à l’autorisation préalable de l’architecte des bâtiments de France ou à la commission régionale du patrimoine. Comme quoi la grande loi patrimoine vantée par tous se moque du tiers comme du quart des atteintes à l’esthétique et à l’environnement.
Et que dire de la volonté, sans doute pour moderniser le vocabulaire, de passer à la moulinette le terme de « Commission des monuments historiques » créée en 1837 sous Louis-Philippe pour le remplacer par celui de « Commission nationale du patrimoine » ? Comme s’il y avait une volonté de couper tout lien avec l’héritage de Prosper Mérimée et également de Viollet-le-Duc qui ont – chacun à leur manière – sauvé notre patrimoine national, copieusement mis à mal par la Révolution.
On comprend d’autant mieux l’indignation sélective de Mme Azoulay et sa défense et illustration du chanteur Black M dont elle déplore qu’un certain « ordre moral et nauséabond » ait pu le priver d’une scène à Verdun.
Francoise Monestier – Présent