Vivre sous terre…


  • Patrick et Renée vivent dans un troglodyte près de Saumur (Maine-et-Loire). Pas facile à chauffer ni à aménager, mais plein de possibilités si on en perçoit le charme.

 

C’est presque un poncif dans les récits des néo-ruraux. On vivait à Paris, on en a eu marre, et bim, on s’est installé ici. Le retour à la terre, ça s’appelle. C’est l’histoire qu’a vécu Patrick Edgard-Rosa. Sauf que lui, c’est sous la terre qu’il est allé.

Photographe, il fuit la capitale à la fin du siècle dernier. Pour rejoindre dans un premier temps la région d’Angers. Jusqu’à sa rencontre avec Renée.

Aventure concrétisée par le projet d’acheter une maison ensemble. Même si Renée continuera de faire des aller-retours à Paris, où cette franco-japonaise travaille dans le luxe. Son Martiniquais de compagnon, à l’insoupçonnable soixantaine, raconte leur trouvaille de l’automne 2000.

« On avait décidé d’acheter une maison sur les bords de Loire, et puis on est tombé sur un habitat troglodyte. Coup de cœur ! »

Découverte qui n’en était pas vraiment une. « J’avais déjà un certain rapport avec cet univers du souterrain. J’ai fait beaucoup de spéléo étant jeune, à l’âge de 9 ans j’étais déjà très attiré par la matière. Plus tard, j’ai retrouvé ce genre d’habitat en Syrie et en Irak. »

« C’est très matriciel »

Bref, coup de foudre commun pour les troglos. En une douzaine d’année, ils en achètent un, puis deux, puis trois dans le Saumurois (Maine-et-Loire). A Grézillé d’abord et Parnay où ils sont désormais. Ils vont carrément jusqu’en acquérir dans le Sud Marocain. Ça ne s’arrête pas à la propriété. Ils font des gîtes, revendent le premier, Patrick écrit un livre sur le sujet, et avec Renée ils lancent une association dont le portail prodigue des conseils pour bien vivre en troglodyte. Il paraît qu’il n’y a jamais de vraie explication à une passion. Renée s’y risque quand même, avec sa voix mesurée d’où jamais rien ne s’échappe en trop.

« On est obligé de faire avec la pierre, les éléments. Dans un appartement, les murs sont droits, se chauffer n’est pas un défi. Alors qu’ici, tout est une aventure : il faut tenir compte de la roche, de l’exposition. De façon générale, c’est très calme, on dort très bien. C’est très matriciel, on est à l’abri. Ici, je me ressource. »

Et c’est vrai, rentrer dans les quartiers du couple a quelque chose de saisissant. Ce n’est pas confiné du tout : dans « l’espace » salle de bains, il doit y avoir au moins cinq mètres de hauteur sous plafond. De quoi faire émaner du lieu une sérénité tout à la fois tellurique et aérienne.

Huit siècles de locataires

A l’origine, ces cavités n’avaient pas vocation à devenir des habitations. Ce furent en premier lieu des carrières : ici, on a exploité le tuffeauet le falun pendant des siècles. En témoigne la « cave cathédrale » dans le fond de la propriété du couple. Une grotte d’une douzaine de mètres de haut, où perce un trou de lumière, témoignage de l’extraction par le haut.

Après ça, des champignonnières se sont installés ans les lieux. Puis des viticulteurs, jusque dans les années 60. Car oui, lorsqu’on s’enfonce dans le réseau de caves, c’est sous un coteau produisant le Saumur-Champigny, rappelle Patrick Egdard-Rosa :

« Il y a dans nos caves un pressoir qui remonte certainement au XIIe ou XIIIe siècle. »

Quitte à y travailler, autant y habiter. Vers 1700, près de la moitié de la population du Sud-Saumurois, surtout les plus modestes, vit ainsi. A l’époque, les demandes de permis de construire et la paperasse, c’était pas trop ça, explique Renée : « Autrefois, lorsqu’un enfant naissait, on creusait simplement un nouveau trou. »

« Avant tout, il faut écouter la pierre »

Petite suée en repensant aux tendances démographiques des siècles derniers : ça doit être un vrai gruyère, là-dedans. D’ailleurs, comment connaît-on les limites de son chez soi minéral ? Le cadastre ne dit pas grand chose : en France, il s’exprime uniquement en deux dimensions. L’amateur de grands espaces un peu malin pourrait penser à agrandir son troglo à volonté. Evidemment, c’est un peu plus compliqué que ça, insiste Renée.

« Avant tout, il faut écouter la pierre, vivre dedans, avant de se lancer dans des travaux. […] Ceux-ci peuvent coûter cher, mais être du métier permet à certains de faire le projet eux-mêmes. »

Dès que l’on veut faire un aménagement ou un agrandissement, il faut trois experts : un géomètre qui délimite l’espace, un géologue qui juge la qualité de roche, et un entrepreneur compétent en matière de confortement. Le confortement, c’est un ensemble de techniques dont le but est de prévenir l’effondrement. Il faut dire que les roches sont fragiles, dévoile le Parisien devenu Parnaisien.

« Vous avez l’eau qui va s’infiltrer dans la roche, l’hiver il y a un coup de gel, et paf ça éclate ! Donc ici, la moindre transformation a été pensée et repensée. Les premiers temps ici, je passais mon temps à déblayer les gravats. On a mis dix ans pour que ça en arrive à cet état-là. »

La température ? 18°C avec le poêle

Cet état-là, c’est une restauration si mignonnette que « Des Racines et des ailes » est venu faire un tour en début d’année. Chez Patrick et Renée on parle de semi-troglodyte puisqu’il y a une avancée en bâti.

Pas fous, ils ont placé ici la chambre conjugale. De cette façon, elle est à portée des rayons du soleil. Parce que c’est bien beau, mais ça doit être atrocement froid l’hiver. Patrick assure que non.

« Franchement, si l’hiver n’est pas trop rigoureux, avec le poêle, on arrive à avoir 18°C [dans le troglo, pas le bâti, ndlr].

Dans des petits troglodytes, l’inertie thermique de la pierre fait qu’on peut avoir encore mieux. En revanche, plus c’est petit, plus c’est humide. Ce sont les vrais problèmes du troglodyte : la température et la circulation de l’air. ».

On remarque un parasol à gaz dans la salle de bains. C’est quand même qu’il doit faire sacrément froid à l’occasion du bain. L’hôte insiste malicieusement.

« Mais non ! L’hiver, vous arrivez en peignoir, vous filez dans la baignoire, toujours dans de l’eau très chaude. Après ça, vous pouvez allez courir tout nu dans le jardin si vous voulez ! »

Acte de propriété

Surface bâtie d’à peine 70 m², réseau de caves de 800 m².

Achat (2004) : 120 000 euros

Prévenus que la rubrique induit de parler chiffres, le couple est finalement réticent à lâcher des informations précises. « De toute façon, tout ce qui est comptabilité, ça nous ennuie profondément », lâche Renée. Le troglo qui leur sert d’habitation a coûté 120 000 euros en 2004. Pas de précision sur le financement ou le coût des travaux, si ce n’est qu’ils ont fait un emprunt unique pour la totalité qui court sur vingt ans.

Charges : 220 euros par mois soit 2634 euros par an

  • Electricité  : 90 euros par mois soit 1 080 euros par an ;
  • Bois de chauffage : 38 euros par mois soit 450 euros par an. En deux ans, le couple est passé de deux tonnes de granulés – soit 600 euros – à une seule tonne ;
  • Taxe d’habitation : 46 euros par mois soit 550 euros par an ;
  • Taxe foncière : 46 euros par mois soit 550 euros par an.

 

 

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