Par Yves Chiron
Flibustiers, corsaires et pirates…
Les trois termes sont parfois confondus, parce qu’ils désignent à peu près la même activité : attaquer des navires et s’emparer de leurs richesses. Pourtant, les statuts sont différents. Le corsaire fait « la course » aux navires ennemis sur ordre de son souverain, dont il a reçu une lettre de marque ou lettre de course. Le pirate attaque pour son propre compte tout navire sans distinction et pille. Le flibustier (mot qui vient du néerlandais vrijbuiter, « qui fait du butin librement ») est entre les deux, c’est une sorte de mercenaire. Il peut recevoir une lettre de commission d’une autorité, mais parfois il s’en passe. Nombre de ceux qui se sont illustrés dans la flibuste ont été, en fait, tour à tour corsaires puis pirates.
Certains sont devenus célèbres par leurs écrits. Exquemelin (parfois écrit Œxmelin), né à Honfleur en 1646, mort paisiblement à Harfleur en 1717, a pourtant eu une vie aventureuse. D’abord chirurgien au service de la Compagnie française des Indes occidentales, il devint flibustier. Il a raconté ses exploits, ceux de ses camarades et de leurs devanciers, dans un ouvrage paru en néerlandais en 1678, puis en français sous le titre Histoire des aventuriers, flibustiers et boucaniers qui se sont signalés dans les Indes[les Indes désignant ici les Indes occidentales, c’est-à-dire l’Amérique]. L’ouvrage a été contesté par un des héros, Morgan, qui intentera un procès. Le livre, néanmoins, sera réédité à de nombreuses reprises, traduit en plusieurs langues. La dernière édition est parue en 2013.
Est rééditée aussi l’Histoire de la flibuste que Georges Blond avait fait paraître en 1969. Georges Blond, lieutenant au long cours, lieutenant de vaisseau pendant la Seconde Guerre mondiale, fut ensuite collaborateur de Je Suis Partout, avant de devenir, après-guerre, un auteur abondant de romans et de livres d’histoire.
De la flibuste à la bourgeoisie
Son livre, sans notes ni références (mais avec une solide bibliographie en fin de volumes), est un récit enlevé, coloré, comme la vie aventureuse de ses héros. Néanmoins, il ne fait pas que raconter et montrer, il sait aussi expliquer (par exemple, la différence entre les galions et les caravelles). Il montre pourquoi les navires espagnols de la Casa de Contratación de Séville ont été la cible principale des flibustiers et comment l’île de la Tortue, au nord d’Haïti, et Port-Royal, à la Jamaïque, sont devenus les centres principaux de la flibuste.
Les prises faisaient l’objet d’un partage rigoureux : « Le butin une fois estimé par les experts de l’île, on prélevait d’abord plusieurs grosses parts : celle de la Compagnie des Indes, celle du gouverneur, celle du chirurgien. (…) On prélèverait ensuite les sommes destinées à indemniser les blessés et estropiés. » Puis le butin était partagé équitablement, c’est-à-dire en fonction des grades et des fonctions.
Le livre raconte mille aventures et coups de main, notamment le « grand exploit » de la prise de Panama par les flibustiers d’Henry Morgan, en janvier 1671 : un butin total de 6 millions de couronnes, dont un quinzième aurait dû revenir au roi d’Angleterre Charles II et un dixième au duc d’York.
Georges Blond explique aussi comment le produit de la flibuste a non seulement enrichi les souverains et les gouverneurs – à certaines époques, du moins – mais a contribué beaucoup au développement de la Jamaïque : « La Jamaïque n’a pas été, comme fut l’Espagne, vidée de son énergie et finalement ruinée par l’or américain. La richesse procurée par la flibuste lui a été comme un capital de départ grâce auquel elle a entrepris l’exploitation de ses grandes richesses agricoles. Appareillaient de Port-Royal, en même temps que les voiliers portant à Londres le produit des pillages, d’honnêtes cargos chargés de sucre, de rhum, de cacao, d’ananas et d’agrumes, de tabac, de piments. Et d’autres navires chargés de ”bois d’ébène”, les esclaves, – si nécessaires aux premières plantations des colonies anglaises d’Amérique du Nord – en provenance d’Afrique, faisaient escale à Port-Royal. Les navires flibustiers étaient, dans ce port, de moins en moins nombreux et de moins en moins désirés par une population commerçante qui s’embourgeoisait, qui désirait garder à tout prix de bonnes relations avec Londres. »
Georges Blond, Histoire de la flibuste, Tallandier, collection Texto, 398 pages.