Résistez à la tyrannie de la commodité! (Vidéo)

« La commodité est la force la plus sous-estimée et la moins comprise dans le monde aujourd’hui ». Certes, elle est ennuyeuse, mais elle est un puissant moteur des décisions humaines, bien plus que le désir ou que la récompense, estime le juriste américain Tim Wu (@superwuster, Wikipédia), dans une remarquable tribune pour le New York Times. « Elle est pourtant la force la plus puissante qui façonne nos vies et nos économies ». La commodité semble prendre nos décisions pour nous, nous faisant souvent remiser nos véritables préférences au profit du facile voire du plus facile. La commodité transforme nos options et nos opinions. Une fois que vous avez goûté à la machine à laver, laver ses vêtements à la main semble être une tâche irrationnelle. Une fois que vous avez goûté à la télévision en streaming, attendre pour regarder un film semble stupide. Résister à la commodité, comme ne pas posséder de smartphone, semble même en passe de devenir une excentricité, voire de relever du fanatisme. Notre goût pour la commodité en engendre toujours plus : plus il est facile d’utiliser Amazon et plus Amazon devient puissant et plus il est encore plus facile d’utiliser Amazon. La commodité est l’allié naturel du monopole, des économies d’échelles et du pouvoir de l’habitude.(…)

Or, quand « nous laissons la commodité décider de tout, nous nous abandonnons trop ». Pour Tim Wu, la commodité est née avec les appareils ménagers et les aliments préparés. « La commodité était la version domestique d’une autre idée de la fin du XIXe siècle, l’efficacité industrielle et la «gestion scientifique» qui l’accompagnait. Elle représentait l’adaptation de l’éthique de l’usine à la vie domestique. » (…)

À la fin des années 60, la première révolution de la commodité a été remise en cause. Pour la contre-culture, la commodité était devenue un signe de conformité et le besoin de réaliser son potentiel individuel, de vivre en harmonie avec la nature plutôt que de chercher à surmonter ses nuisances a généré une riche critique. Depuis, comme une réponse à cette critique, l’essor des nouvelles technologies a généré une nouvelle vague de technologies de la commodité facilitant l’essor de l’individualité. Tim Wu fait commencer cette nouvelle vague avec l’avènement du Walkman de Sony en 1979. (…)

« Cette vision est si séduisante qu’elle a fini par dominer notre existence. La plupart des technologies puissantes et importantes créées au cours des dernières décennies offrent une commodité au service de la personnalisation et de l’individualité. Pensez au magnétoscope, à la liste de lecture, à la page Facebook, au compte Instagram. Ce genre de commodité n’est plus une question d’économie de travail physique – beaucoup d’entre nous n’en font pas beaucoup de toute façon. Il s’agit de minimiser les ressources mentales, l’effort mental, nécessaire pour choisir parmi les options qui s’expriment. La commodité est un simple clic, un guichet unique, l’expérience transparente de « plug and play ». L’idéal est la préférence personnelle sans effort. »

La commodité a tué Napster au profit des solutions de streaming. À mesure que chaque tâche devient plus facile, nous sommes agacés par celles qui restent à un ancien niveau d’effort et de temps. Pour Tim Wu, « les technologies d’individualisation actuelles sont des technologies d’individualisation de masse ». La personnalisation finalement se révèle « étonnamment homogène » (nous ne disions pas autre chose). Ce qui devait nous représenter comme uniques nous rend en fait tous semblables. Le format et les conventions de Facebook nous dépouillent de toutes les expressions d’individualité, à l’exception des plus superficielles, comme la photo particulière d’une plage ou d’une chaîne de montagnes que nous choisissons comme image de fond. (…)

« Le culte de la commodité d’aujourd’hui ne reconnaît pas que la difficulté est une caractéristique constitutive de l’expérience humaine. La commodité est une destination sans aucun voyage. Mais monter une montagne est bien différent de prendre la télécabine jusqu’au sommet, même si vous vous retrouvez au même endroit. Nous devenons des gens qui se soucient principalement ou seulement des résultats. Au risque de faire de notre vie une série de promenades en tram. »

La commodité doit servir quelque chose de plus grand qu’elle-même, de peur que cela ne mène seulement à plus de commodité. Dans son livre classique de 1963, La femme mystifiée, la journaliste féminine Betty Friedan a examiné ce que les technologies ménagères avaient fait pour les femmes et en concluait qu’elles avaient surtout créé plus de demandes. (…) Une conséquence fâcheuse de vivre dans un monde où tout est «facile» est que la seule compétence qui compte est la capacité de faire plusieurs choses à la fois. À l’extrême, nous ne faisons rien en réalité ; nous ne faisons qu’arranger ce qui sera fait, ce qui est une base bien fragile pour remplir une existence. »

Pour Tim Wu, nous devons nous ouvrir aux inconvénients. Si nous n’avons plus besoin de fabriquer notre beurre ou de chasser notre propre viande, nous ne serons personne si la commodité devient la valeur qui transcende toutes les autres. « Lutter n’est pas toujours un problème. Bien souvent, elle est une solution. Et notamment la solution à la question qui sommes-nous ? (..)

Et Tim Wu de nous inviter résister à la tyrannie de la commodité. De ne pas oublier le plaisir et la satisfaction à faire quelque chose de lent et de difficile. Certes. C’est là certainement un conseil facilement moraliste. Reste que dans un monde qui optimise toujours plus la commodité, l’enjeu n’est-il pas d’en définir des limites au risque sinon qu’elle n’en ait jamais ?

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