Dans ma biographie d’Agatha Christie (éd. Pardès, 2013), je m’attardais sur une de ses consœurs, l’Ecossaise Elizabeth Mackintosh dite Josephine Tey, qui publia un an avant sa mort un roman fascinant car proprement révisionniste : La Fille du temps (The Daughter of Time). Hospitalisé après avoir été blessé en service, son héros, l’inspecteur Grant, reçoit en carte postale un portrait de Richard III. N’ayant rien d’autre à faire, il contemple les traits de ce monarque honni depuis Thomas More et plus encore depuis Shakespeare pour avoir tué « les enfants d’Edouard ». Peu à peu, le policier se convainc que Richard, dont la loyauté et la rectitude avaient jusqu’alors été impeccables, ne peut avoir été le « villain d’entre les villains » de l’Histoire anglaise. Ce que lui confirment les documents d’époque et les grimoires qu’il se fait apporter : homme profondément bon et attentif au sort de ses sujets, Richard III était totalement innocent de l’assassinat de ses neveux Edouard et Richard. Salir sa mémoire était toutefois une nécessité absolue pour les usurpateurs Tudors dont Shakespeare fut l’obligé sous Elizabeth 1re.
Sans cesse réédité depuis 1952 (et toujours disponible en France chez 10/18), La Fille du temps a beaucoup contribué à changer le regard des Britanniques sur ce roi tué en 1485 à la bataille de Bosworth. Et, d’outre-tombe, Joséphine Tey a dû assister avec satisfaction le 26 mars à l’éclatante réhabilitation du dernier souverain Plantagenêt et à son inhumation (dans un linceul brodé des roses blanches de la maison d’York, opposée aux Lancastre pendant la guerre des Deux-Roses) dans la cathédrale de Leicester — et non dans celle d’York ou à Westminster comme le demandaient ses descendants après la découverte et l’identification de son squelette en février 2013.
Evoquant la messe solennelle célébrée par l’archevêque d’Angleterre et les dizaines de milliers de personnes venues honorer depuis jeudi la sépulture du maudit, dont son vainqueur Henry VII Tudor et les panégyristes d’icelui ont tant sali la mémoire après avoir profané son cadavre, le Times parle de « retour glorieux pour l’un des plus grands perdants de l’histoire ». Un retour qui se sera fait attendre plus de cinq siècles, et le « perdant » n’a peut-être pas totalement gagné car il est plus facile de noircir une réputation que de la blanchir. Une légende noire n’entoure-t-elle toujours pas notre Louis XI malgré les travaux très documentés de chercheurs, tel Murray Kendall ?
« La Fille du temps » chère à Joséphine Tey, c’est bien sûr l’Histoire dont la vocation et la grandeur sont de se remettre sans cesse en question. Même si, comme celles de Dieu, ses meules broient lentement.
Camille Galic – Présent