Douze ans d’attente pour les ex-enfants d’illégaux ?
Avant de s’envoler vers Davos, en Suisse, pour assister au Forum mondial de l’économie et jouer l’éléphant populiste dans un magasin de faïence globaliste, le président Donald Trump eut le temps de créer la surprise et de brouiller, une fois de plus, le jeu politique.
Devant une assemblée de maires réunis à la Maison Blanche, il déclara qu’il n’était plus hostile à l’ouverture d’une voie vers la citoyenneté pour les 800 000 adultes, jadis enfants d’illégaux, qui sont entrés aux Etats-Unis avec leurs parents clandestins il y a plus de vingt ans.
Il mit cependant trois conditions à cette nouvelle proposition. D’abord, il faudra que ceux que l’on appelle les Dreamers (les Rêveurs) attendent une douzaine d’années avant d’entrer dans les démarches officielles menant à la naturalisation américaine. Ensuite, ces Dreamers devront prouver qu’ils se sont accrochés au monde du travail avec un emploi stable et rémunérateur. Enfin, il est conseillé à ces vieux enfants bercés par les sirènes de l’Eldorado de ne pas être pris dans les filets de la police locale, et encore moins dans ceux du FBI.
L’idée de Trump est triple. D’une part, il repousse la solution définitive du problème à beaucoup plus tard, lorsqu’il ne sera plus président. D’autre part, il évite le piège de l’amnistie presque immédiate dans lequel ses adversaires, ses ennemis et ses faux-amis cherchent à le faire tomber. Enfin, il applique l’un de ses vieux principes qui veut que l’Amérique se mérite. Pour lui, le meilleur moyen d’en devenir citoyen est d’obéir à ses lois et de participer au fonctionnement de sa machine économique. Il veut que les Dreamers soient dignes de leurs rêves.
Manœuvre réussie
Le geste de Trump a pris de court tous les commentateurs et plonge l’univers politique dans la plus extrême perplexité. A coup sûr, l’iconoclaste a voulu profiter de son double succès du week-end dernier, à la fois tactique et psychologique (cf. Présent du 25 janvier), pour enfoncer encore davantage le fer dans la plaie de l’immigration. La manœuvre a réussi. Mais quelle est sa nature ? Est-ce un simple ballon d’essai qui pourrait être rapidement dégonflé si l’audace initiale tourne à la témérité aventureuse ? Est-ce l’effet d’une évolution personnelle qui serait, dans ce cas, la marque durable d’une attitude dont il faudrait tenir compte ? Le flou qu’entretient Trump fait partie de la manœuvre. Il lui permet d’analyser les réactions et de recomposer, au fil des discussions, des groupes de fidèles opérationnels. Ceux-ci, pour l’instant, se situent du côté de la droite nationale avec Tom Cotton, sénateur républicain de l’Arkansas. Pour lui, le problème est une question d’équilibre. « Il faudra compenser, souligne-t-il, les effets négatifs de l’accueil officialisé des 800 000 Dreamers par un verrouillage sérieux des frontières et un regroupement familial réduit à la famille nucléaire. » Cotton se montre peu convaincu par la percée de Trump et prêche la prudence. A l’inverse, Lindsey Graham, sénateur républicain de Caroline du Sud, et Richard Durbin, sénateur démocrate de l’Illinois, affichent leur enthousiasme pour la « flexibilité » présidentielle. L’un et l’autre y trouvent la solution au lancinant défi lancé par l’immigration illégale. Ensemble, ils constatent : « Trump va dans la bonne direction. »
Amnistie, pompe aspirante
« Trump a surtout changé de direction ; il va dans le fossé. » Propos cinglants, sans concession, comme à leur habitude, d’Ann Coulter, journaliste vitriolique et pasionaria du populisme, qui estime que tout ce qui frôle l’amnistie d’illégaux doit être assimilé à un coup de poignard dans le dos de l’Amérique. Amnistie ! C’est le mot-clé, le mot-phare dans ce drame de l’immigration. Depuis que Ronald Reagan a ouvert, en 1986, les portes du pays à des millions d’envahisseurs en régularisant quelques centaines de milliers de sans-papiers. Depuis que l’on sait que le mécanisme de l’amnistie fonctionne comme une pompe aspirante et que chaque individu « gracié » attire dans son sillage au moins cinq clandestins. Amnistie, mot protéiforme que deux hommes détenteurs de ce dossier explosif doivent diaboliser pour ne pas en être les premières victimes : John Kelly et Stephen Miller. Ils constituent la garde rapprochée du Bureau ovale et sont chargés de trouver des terrains communs entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Rude tâche. Les républicains sont fragmentés entre les dociles, les renégats et les durs. Les démocrates sont minés par l’exaltation subversive de leur chef, Chuck Schumer.
De plus, tous les débats doivent avoir pour cadre cinq mesures que les deux camps ont définies depuis quelques semaines et sur lesquelles Trump a des idées bien arrêtées. Outre le sort des 800 000 enfants d’illégaux devenus grands, on trouve la fin d’un regroupement familial chaotique, l’interdiction d’embaucher un sans-papiers, la suppression de la loterie naturalisant 50 000 étrangers par an et la construction d’un mur le long de la frontière méridionale. Les négociations se poursuivent sans interruption. Trump devait prendre connaissance des zones minées et des terrains d’entente vendredi soir, dès son retour de Davos. C’est lundi prochain qu’un projet de loi pourrait être rendu public.