Quel est le nom du ministre de la Ville ? Cette semaine, la question est devenue un sujet de colle. Après avoir remarqué mardi matin que Julien Dray, vice-président PS du Conseil régional d’Ile-de-France, ne connaissait pas la réponse, Bruce Toussaint s’est amusé à la reposer le lendemain au nouvel invité de sa matinale sur iTélé, Christian Estrosi. Chou blanc, encore : le maire de Nice n’était guère plus renseigné… Si bien que dans L’Opinion, l’intéressé est devenu “le ministre inconnu”. La bonne réponse est : Patrick Kanner. Et à 57 ans, il n’est pas un petit nouveau en politique. Avant que le portefeuille de la Ville, de la Jeunesse et des Sports ne lui échoie dans le deuxième gouvernement de Manuel Valls en août dernier, ce natif de Lille a fait une longue carrière d’élu local. Conseiller municipal de la capitale du Nord depuis 1989, il est devenu président du Conseil général en 2011.
Aujourd’hui, Patrick Kanner est à la tête d’un ministère crucial dans le débat sur l’intégration et la jeunesse qui agite la société française depuis les événements dramatiques de début janvier. C’est d’ailleurs à lui qu’a été confié le pilotage du comité interministériel annoncé par Manuel Valls, qui doit définir un plan d’action contre les inégalités d’ici à début mars. Alors, pourquoi est-il si peu connu du grand public ? “Je suis un ministre au travail, et je communiquerai quand j’aurai des solutions à apporter”, rétorque-t-il à ses détracteurs dans une longue interview accordée jeudi à metronews.
Au terme de cet entretien consacré à ses chantiers en cours, Patrick Kanner a aussi accepté de se livrer un peu, avec un petit exercice que nous lui avons soumis : le fameux questionnaire de Proust. Après avoir séché sur quelques questions au début, le ministre s’est pris au jeu. Et quand vous aurez lu ses réponses et son interview, vous ne pourrez plus dire qu’il vous est totalement inconnu !
Le principal trait de mon caractère : l’empathie
Ce que j’apprécie le plus chez mes amis : la franchise
Mon principal défaut : je ne suis pas rancunier, en politique, ça peut être un défaut !
Mon occupation préférée : produire des réponses
Quel serait mon plus grand malheur : perdre mes filles
Le pays où je désirerais vivre : la France
La couleur que je préfère : le rouge
La fleur que j’aime : la rose
L’oiseau que je préfère : le goéland, à cause du film “Jonathan Livingston le goéland”
Mes auteurs favoris en prose : Balzac
Mes poètes préférés : Verlaine
Mes héros dans la fiction : le Concombre masqué
Mes compositeurs préférés : Mozart, Verdi
Mes peintres préférés : Modigliani
Mes héros dans la vie réelle : François Mitterrand, Pierre Mauroy
Mes héroïnes dans la vie : Louise Michel
Ce que je déteste par-dessus tout : la couardise
Le fait militaire que j’estime le plus : l’opération Dynamo
La réforme que j’admire le plus : l’IVG
Comment j’aimerais mourir : sans agonie
Etat présent de mon esprit : combattif
Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence : celles faites sans méchanceté
Ma devise : en avant la France !
Cette semaine, deux responsables politiques se sont montrés incapables de citer le nom du ministre de la Ville. Comment vivez-vous cette image de “ministre inconnu” ?
Ce n’est pas agréable, naturellement, et cela m’interpelle. Mais je ne m’en offusque pas, j’ai le cuir tanné et une longue expérience politique. En tant qu’élu local, c’est vrai que ma présence parisienne n’est pas historique… Et je ne cours pas les plateaux de télévision, c’est sûrement une conception différente de la politique de nos jours, où il faut exister avant de produire. Moi je préfère produire avant d’exister, et je mesure que dans les circonstances actuelles, il faut produire vite. Je suis un ministre au travail, et je communiquerai quand j’aurai des solutions à apporter.
Vous gérez la Ville et la Jeunesse, deux thématiques qui occupent le débat depuis les attentats début janvier. Quel est votre chantier prioritaire ?
Je veux aussi être le ministre de ceux qui ne sont pas Charlie. Qu’est-ce que cela signifie ? J’ai rencontré des jeunes qui “ne sont pas Charlie”, dont beaucoup se trouvent dans les quartiers prioritaires, et je les ai entendu dire des choses qui m’ont fait mal. Le mot de complot n’a pas été utilisé mais il était sous-jacent, et 80% des débats portaient sur la place de la religion. Il y a là une digue républicaine à recréer, avec la laïcité. Je veux les convaincre, je veux les écouter : il y a des chantiers de reconquête à mener.
De quels quartiers s’agit-il exactement ?
On a 1300 quartiers métropolitains qui concentrent le taux de pauvreté le plus important (selon la loi Lamy, ndlr), dont une centaine qui sont dans une situation de ghettoïsation manifeste. Mais pas de malentendu : si ces quartiers couvrent 5 millions de personnes, il n’y a pas 5 millions de djihadistes en puissance, ni de gens en difficulté telle que la République serait là-bas en zone de non droit ! Je refuse le “quartiers bashing”.
Manuel Valls a carrément utilisé le mot d’apartheid…
Tout le monde sait que la France n’a pas mis en place un tel système d’Etat au sens propre du terme. En revanche, elle n’a pas pu, ou pas su, éviter dans ces quartiers une logique d’apartheid, au sens de ségrégation territoriale, sociale et ethnique. Personne ne peut dire le contraire ! Le Premier ministre a utilisé ce mot comme un électrochoc, un levier de mobilisation. Car il faut une intervention forte de l’Etat, d’une “task force” républicaine sur ces quartiers.
Le Premier ministre a également prôné une “politique de peuplement”dans ces quartiers. Mais peut-on imposer la mixité sociale ?
On ne peut pas l’imposer, elle se construit avec divers dispositifs. Mais il faut du volontarisme. Exemple concret : quand on décide, dans la loi de Finances de 2015, d’étendre la TVA à 5,5% (au lieu de 20%, ndlr) pour l’accession sociale à la propriété à 1300 quartiers et dans une zone élargie à 300 mètres. Cela fait gagner 20.000 à 30.000 euros à un jeune couple qui achète un logement moyen. C’est le genre de solutions qui peut changer le visage d’un quartier, pour casser les ghettos.
Cela pourrait-il aller jusqu’à la réquisition de terrains pour construire des logements sociaux dans les communes qui ne respectent pas le taux légal ?
Malgré le durcissement des amendes et des textes en vigueur, certains maires continuent de préférer payer plutôt que de construire des logements sociaux. On ne peut plus accepter qu’ils fuient leurs responsabilités devant un tel sujet de société, encore moins aujourd’hui qu’hier. Les maires qui veulent passer entre les gouttes en payant, c’est fini ! Cette question sera donc posée, dans le cadre du comité interministériel dédié à la lutte contre les inégalités dont le Premier ministre m’a confié le pilotage, et qui délivrera un plan d’action mi-mars.
Faut-il aussi être plus dur sur la laïcité ?
Pas plus dur mais revenir à ses fondements. Permettez-moi de citer cette phrase terrible de Charb en 2012, en conclusion du Jury de la Laïcité qu’il présidait : “J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïcs qui se taisent”. Eh bien, il ne faut plus se taire ! Les jeunes croient souvent que la laïcité va à l’encontre des religions mais c’est le contraire : les pays qui ne sont pas laïcs empêchent l’émergence d’autres religions que celle d’Etat.
Au delà des valeurs et de la mixité, ces quartiers souffrent aussi du chômage..
Tout à fait, et la question de l’emploi des jeunes est aussi un chantier prioritaire. Il faut davantage cibler les dispositifs d’aide à l’emploi sur ces quartiers.
Vous voulez pratiquer une discrimination positive ?
Il s’agit de donner plus à ceux qui ont le moins pour qu’il n’y ait pas de fatalité à la ségrégation territoriale et sociale. Je sais que la discrimination positive est un mot qui peut faire peur, certains considèrent que cela peut être stigmatisant. Mais vous ne croyez pas qu’ils sont déjà stigmatisés, ces jeunes, aujourd’hui ?
Concernant les jeunes justement, le débat porte aussi sur l’idée d’un service civique obligatoire. Quelle est votre position ?
Je n’y ferme pas la porte. Aujourd’hui, le service civique est demandé par des jeunes qui sont déjà dans une démarche positive. Il faut le conserver car c’est une réussite, et le Président a donné pour objectif de le développer. Après, il y a la question d’un engagement obligatoire. Comment articuler les deux ? Par exemple, en imposant un engagement vers 16-18 ans, puis un service civique facultatif plus tard. A condition que le premier ne soit pas présenté comme une punition mais comme une marque de confiance en notre jeunesse. Il faut aussi que ce soit un outil de promotion, gagnant-gagnant : Il est important que les jeunes reçoivent une reconnaissance de leur engagement. Tous ces chantiers doivent être ouverts et je suis prêt à les porter.
Est-ce que ce sera un sujet de référendum ?
En tout cas, le Président ne l’a pas écarté puisque c’est lui-même qui l’a évoqué début novembre. Moi, cela ne me choquerait pas qu’on interroge les Français sur un sujet de cette importance. Un tel débat ne peut pas être tranché en chambre. La jeunesse devra y participer.