Présent
Robert Leblanc
Ce pourrait être une nouvelle histoire du Père Castor, mais non, il s’agit de Louis-Ferdinand Céline et d’une jolie trouvaille comme le Bulletin célinien en fait souvent.
Un de ses correspondants a déniché une page de journal, sans aucune référence, hélas ! Peut-être un de nos lecteurs trouvera-t-il la clé de l’énigme ? Quel est le journal où un Jean Laroche publie ce reportage à Meudon inconnu des céliniens ?
La coupure pourrait dater de 1955 ou 1956 puisque Céline affiche 62 ans (il se vieillit souvent d’une année). Plusieurs détails authentifient le document : « les accords d’un piano voisin », « les jappements des chiens à demi-sauvages », « un chat qui se faufile », les cours de danse donnés par Lucette (l’épouse aujourd’hui centenaire), et surtout le petit hérisson qu’elle trouve dans le jardin et vient montrer à Céline, car nous avons déjà une photo de l’épisode. Elle est en général attribuée à Daniel Frasnay, un des très grands photographes français, et comment ne pas voir qu’il est aussi l’auteur de l’admirable photo qui accompagne l’article de Jean Laroche ?
Celui-ci a fait (avec conviction ou non ?) un article très misérabiliste présentant un Céline mourant de faim, tuberculeux, et… aveugle ! Apparemment, l’écrivain ne lui a rien dit des trois volumes de « trilogie allemande » qu’il avait déjà en tête, et même sur le papier, au moins pour D’un château l’autre. En revanche, l’interview reprend des thèmes ressassés par Céline : sa prétendue blessure de 1914 au crâne (en réalité, au bras), sa pauvreté, la trilogie Barbusse-Ramuz-Morand qui a bouleversé avec lui la langue française, la persécution contre lui. Mais avec des variations intéressantes :
— « J’ai vendu aux Allemands la Tour Eiffel, les Folies-Bergère et l’Académie française… Essayez donc d’acheter un de mes livres dans une librairie parisienne. On vous regardera comme si vous leur demandiez l’œuvre d’un auteur de Nouvelle-Guinée ou de la Terre de Feu. Ils m’ont tué non avec des balles, mais par leur silence. »
Comme d’habitude, ce numéro de janvier du Bulletin célinien est admirablement varié. On y trouve aussi une page sur l’adaptation de Voyage au bout de la nuit à Lausanne, des notes de lecture, une réponse cinglante de Marc Laudelout à Charles Dantzig, un article sur le Balajo et autres établissements fréquentés par Céline avant-guerre, deux pages enfin sur Robert Denoël à qui Gordon Zola (sic) vient de consacrer un polar, Le Père Denoël est-il une ordure ? (éd. Léopard masqué, 16 euros). L’assassinat de l’éditeur de Céline et Rebatet, mais aussi d’Aragon et d’Elsa Triolet, le 2 décembre 1945, à l’angle Invalides-Grenelle, pendant que son associée Jeanne Loviton (dite Voilier) détournait pudiquement les yeux, n’a pas fini de faire fantasmer…
Bulletin célinien (6 euros), c/o M. Laudelout, Bureau St-Lambert, B.P. 77, BE 1 200 Bruxelles.