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À 97 ans, Michel Déon s’est éteint en Irlande des suites d’une embolie pulmonaire. C’était un romancier d’une trempe rare, le tout dernier des hussards ainsi que Bernard Frank baptisa cette bande de jeunes écrivains de droite à la plume cinglante et au romantisme désinvolte qui fit sensation dans les années 1950. Mais ce n’est que vingt ans plus tard, à cinquante ans passés, que Michel Déon connaît la consécration littéraire. Après Les Poneys sauvages (Prix Interallié 1970) puis Un taxi mauve (Grand Prix de l’Académie française 1973), il est élu à l’Académie française en 1978 et devient une figure tutélaire pour toute une nouvelle génération d’écrivains. Ainsi qu’Éric Neuhoff l’a joliment écrit dans un essai qu’il lui a consacré en 1994 : « Les livres de Déon furent notre cour de récréation. Nous y avons appris à jouer, à vivre, à aimer. »
Michel Déon a fait découvrir et aimer la Grèce à des générations de philhellènes. Livres à la main, nous avons couru et courons encore ces îles magiques qu’il a arpentées inlassablement avant de se retirer en Irlande, « la Grèce du Nord ». À 94 ans, le dernier Hussard, compagnon de Nimier, Blondin et Laurent, n’a rien renié de son « histoire d’amour avec la Grèce » Extraits de l’entretien qu’il nous avait accordé pour Bonjour Athènes.
Un jour, Michel Déon, vous avez quitté le soleil de Spetsai pour les brumes de l’Irlande, vous avez déserté, oui déserté, la Grèce…
D’abord, je n’ai pas « déserté » la Grèce, mais après une dizaine d’années sans guère quitter mon île de Spetsai, j’ai dû, pour mon travail et l’éducation de mes enfants, passer un hiver au Portugal, puis des hivers en Irlande.
Le parfum de ces îles, Spetsai, Patmos, Hydra, leur séduction n’opéraient plus, un peu comme une histoire d’amour qui se terminait ?
C’est vrai que je me suis installé ailleurs sur la pression des changements qui s’opéraient autour du Paleo Limani (vieux port) de Spetsai. Là où nous étions quelques complices à peupler ce cap admirable et, autrefois, désert, sont venus se coller à grands frais et grands bruits de puissantes et vulgaires fortunes sans aucun respect pour les traditions et l’architecture de l’île. […] Mais je peux vous garantir que, même si je n’y vis plus, la Grèce est en moi et dans mes livres jusqu’à mon dernier souffle. Mes écrits en témoignent avec la même ferveur qu’à la première révélation.
Une histoire d’amour qui n’aura pas de fin…
Ici comme ailleurs, le temps de la « splendeur nue » est révolu. Même défigurée, la vie grecque garde-t-elle une partie de sa magie ?
Naturellement, la vie grecque a gardé de sa magie. Il suffit de s’éloigner des centres touristiques, de choisir sa saison (les hivers et les printemps sont sublimes), ses amis et, surtout, d’emporter avec soi quelques livres essentiels qui abolissent les siècles. Et fuir le kitsch, le toc, le préfabriqué, le luxe grossier des nouveaux riches, les moteurs, une triste architecture moderne. Je hurle quand à une question posée en grec on me répond en pidgin anglais…
Les dieux ont quitté la Grèce, Apollon s’est-il suicidé ?
Oubliez ça et trouvez dix minutes de silence sur l’Acropole, au cap Sounion, à Patmos, face à un coucher de soleil ou à une aube radieuse. Alors, vraiment oui, les dieux existent encore et nous sommes leurs enfants.
J’ai lu quelque part que « l’âpre Irlande convenait mieux à votre désenchantement stendhalien »…
« L’âpre Irlande » n’a rien à voir avec ce que vous appelez un « désenchantement stendhalien ». C’est un pays assez rude malgré ses fées et ses fantômes qui me tiennent éveillé. J’aime être fouetté par le vent et la pluie, pincé par le froid qui donnent l’illusion d’exister.
Irlande ou Patagonie, il ne reste plus beaucoup de terres sauvages pour les hommes assoiffés de liberté…
En ce qui concerne la liberté, il y a longtemps que j’en ai fait mon affaire personnelle et ne me suis pas trop mal défendu dans ce monde où, chaque jour, on attente je ne dirais pas à notre liberté mais à nos libertés.
Entretien réalisé par José Meidinger pour Boulevard Voltaire