« A qui sont donc ce haut-fourneau/Et ce tuyau, si froids, si vides ?/De Port-de-Bouc à Concarneau/Tous répondent, lents ou rapides :/Ça, c’est la pipe de Michel ! » Il ne faut pas croire que Maurras l’appelait par son prénom, quand il composait, à Lyon en 1943, cette ballade sur la pipe de son secrétaire, abandonnée sur une étagère. Ce n’était pas la coutume à l’époque ! Mais celui que nous enterrons aujourd’hui comme Michel Déon s’appelait en réalité Edouard Michel.
Né en 1919, il était hier encore le seul rescapé des Hussards, comme on surnommait la joyeuse équipe qu’il forma avec Nimier, Blondin et Jacques Laurent pour défendre la liberté dans le roman et dans les idées, face à la pesante domination existentialiste et marxiste des années 1950. Il était aussi le plus amical, le plus serviable, le plus abordable. Marié, il continua à accueillir les écrivains un peu en détresse, Chardonne en Grèce (Le Balcon de Spetsaï) ou au Portugal (Tout l’amour du monde), Houellebecq en Irlande… qui furent évidemment d’une parfaite ingratitude, privilège des Bourbons et des artistes. Le Portugal le sera-t-il aussi, qu’il a célébré plus qu’aucun autre Français ?
Je laisserai les connaisseurs évoquer ses nouvelles, ses romans à succès. Moi, je préfère ses souvenirs, Mes arches de Noé (1978), où il évoque ses engagements, au quotidien L’Action française à Lyon sous l’Occupation, puis en faveur de l’Algérie française. Par la suite, comme Laurent (autre ancien d’AF), comme Félicien Marceau (venu, lui, de la Démocratie chrétienne), il avait donné dans une attitude plus libérale et hédoniste, que Madiran lui reprochait parfois, avec raison. Mais il ne reniait jamais les amis d’autrefois, et quand il y avait un colloque à organiser pour honorer Maurras ou Jacques Perret, il était là pour apporter sa caution d’académicien. Quand j’ai ranimé dans Présent la mémoire du dessinateur de presse Ben, il y a quelques années, il m’envoya aussitôt son témoignage : n’avait-il pas promené Ben à Florence dans les années 60 ? Adieu, cher Michel Déon, avec vous part un des derniers combattants de 39-40, un des derniers aussi à avoir vu Maurras se réveiller au premier coup sur l’épaule, dans sa chemise de nuit à festons rouges : « — Bonjour ! Quelles nouvelles ? »
Robert le Blanc – Présent