« Il y en a qui étudient par pure curiosité de savoir, d’autres par vanité, d’autres pour se faire de la science un moyen de fortune, et tout cela est mal ; il en est d’autres qui étudient pour se rendre utiles aux autres ou pour se sanctifier eux-mêmes, et tout cela est bien. »Saint Bernard place d’emblée notre réflexion sur la lecture à l’altitude qui convient. Il replace chacun d’entre nous face à son destin. Qui niera que les réseaux sociaux favorisent à l’extrême les deux fléaux dénoncés par le fondateur de l’abbaye de Clairvaux : la curiosité et la vanité ? Curiosité qui permet d’accéder, en quelques clics, à une multitude d’informations. Vanité de se croire l’ami ou le « follower » des grands de ce monde. Vanité aussi de penser que ses réactions à l’actualité, de préférence sous pseudonyme, présentent un quelconque intérêt.
Nécessité de la lecture
Revenons à l’essentiel : « C’est la volonté de Dieu que vous deveniez des saints » (1 Th 4, 3). Tout se juge à l’aune de cette volonté divine qui consiste à connaître Dieu, L’aimer et Le servir en faisant nôtre sa volonté sur nous. Encore faut-il la connaître. Il n’est pas certain qu’elle se découvre en surfant sur Internet, nonobstant la réalité que constituent les conversions, en particulier de musulmans, opérées par l’accès rendu informatiquement possible à des informations inconnues d’eux car physiquement, socialement ou psychologiquement inaccessibles.
La civilisation chrétienne, qui est celle de l’Incarnation, est aussi celle des enracinements et des permanences. Marthe, qui s’agite, encourt les reproches, affectueux, du Maître. Dieu ne se trouve ni ne se rencontre (cf. 1 R 19, 11) dans l’agitation mais dans le silence, l’étude et la contemplation.
La lecture permet d’aller au fond des choses et de ne pas rester prisonnier de l’instant et de l’émotion. Elle nous ouvre l’accès au capital incommensurable que constitue l’expérience millénaire de l’humanité. L’actuel secrétaire d’État à la défense de Donald Trump, le général James Mattis, témoigne : « En lisant on apprend à travers les expériences des autres (…). Grâce à ma lecture, je n’ai jamais été pris de court par aucune situation, jamais sans savoir comment un problème avait déjà été abordé (en bien ou en mal) avant. Ça ne me donne pas toutes les réponses, mais c’est une lumière dans un chemin qui est souvent sombre. »
Méthode pour lire
La lecture demande, certes, plus d’efforts et de volonté que le zapping sur internet. Son exercice est cependant plus fécond conformément à ce qui est souvent la règle : « Le savoir est un fruit dont la racine est amère »… Le livre reste ainsi l’outil privilégié de l’étude, l’ordinateur n’étant pas conçu pour de longues heures de face-à-face…
« Enseigner à lire, telle serait la seule et véritable fin d’un enseignement bien entendu ; que le lecteur sache lire et tout est sauvé ! » (Charles Péguy)
Le livre est fidèle, il demeure. On peut le relire, l’annoter : « Celui qui lit sans crayon à la main dort » (Voltaire). On le lit à son rythme, prenant le temps de l’assimiler. On peut se déplacer avec et le prêter.
La lecture est surtout supérieure à l’audiovisuel en ce que ce dernier exerce une fascination plus qu’il ne forme l’esprit à réfléchir. L’image, et en particulier l’image animée, fascine pour des raisons physiologiques parfaitement connues des médecins. Elle est la consécration du primat du sensible sur l’intelligible. Dans l’encyclique Miranda prorsus, en 1957, Pie XII avait ainsi rappelé le pouvoir particulier de l’image : « Et même le sens de la vue étant plus noble et plus digne que les autres, conduit plus facilement à la connaissance des réalités spirituelles. » Il est à craindre que, mal utilisé, ses effets pervers ne soient également plus importants.
« Il faut lire avec l’intention de retenir par cœur tout ce qu’on lit. Évidemment on n’y arrive pas mais cette intention est tout de même très efficace. On garde toujours au moins quelques bribes et surtout cette habitude décuple la puissance d’attention, d’application aisée à ce qu’on fait » écrivait l’abbé Berto
Que lire ?
Dans son ouvrage La Vie intellectuelle le Père Sertillanges, op, distingue quatre espèces de lectures. D’abord les lectures de fond qui nous mettent en relation avec les réalités naturelles et surnaturelles fondamentales, ensuite les lectures de travail qui nous permettent de faire face aux responsabilités de nos différents devoirs d’état, enfin les lectures d’entraînement ou d’édification qui stimulent notre allant pour le vrai, le beau, le bien, sans oublier les lectures de détente, illustrant la belle vertu d’eutrapélie.
C’est le premier pas qui coûte. Plus on étudie, plus on mesure son ignorance mais également, plus on a de connaissances, plus il est facile de les accroître. Il y a une dynamique à créer.
Cette vie de l’esprit ne sera possible que si chacun parvient à gagner du temps, à racheter le temps. Tout ce qui n’est pas de l’éternité retrouvée est du temps perdu ! Pour cela une certaine ascèse vis-à-vis des réseaux sociaux et d’Internet est nécessaire. De même que la vie spirituelle exige la mise en place d’une règle de vie qui permette de donner à la prière la place qui lui revient dans l’organisation de chaque journée, de même il convient de formaliser dans la maîtrise de son emploi du temps les moments consacrés à l’étude.
Malheureusement, si l’on en croit Jacques Bainville il ne suffit pas de lire : « Mais qui lit ? Qui comprend ce qu’il lit ? Qui retient ce qu’il a compris ? ». Ce qui le menait à ce constat un peu désabusé : « La plus dangereuse espèce d’imbéciles est celle des imbéciles instruits. » Formule réactualisée par Patrick Buisson : « L’éducation ne supprime pas la bêtise, elle lui donne des arguments. »
Notons enfin que l’apostolat par le livre est à la portée de tous par le prêt ou l’offrande de bons ouvrages. Louis de Bonald ayant écrit un jour que : « Le plus grand crime que l’on puisse commettre, c’est la composition d’un mauvais livre, puisqu’on ne peut cesser de le commettre. » Joseph de Maistre, que cette remarque avait frappé répondit à Bonald : « Vous avez parfaitement raison, mais la proposition inverse n’est pas moins incontestable. »
Jean-Pierre Maugendre – L’Homme nouveau