“L’Histoire ne se répète pas, mais elle sait jouer des similitudes”…

Le 8 septembre 1855, le général Mac Mahon à la tête de ses zouaves prend le bastion de Malakoff. « J’y suis, j’y reste », lancera-t-il à ceux qui craignent un piège. Deux jours après, Français, Anglais et Piémontais entrent dans Sébastopol ; Napoléon III a vengé son oncle.
Cet épilogue d’une guerre en Crimée menée pour un mauvais prétexte contre les Russes marque le début de l’imbroglio des Balkans et du Moyen-Orient. Depuis, tout conflit y dégénère en lutte armée, contrebalancée par un règlement diplomatique bancal où les Anglais déposent les germes de la guerre suivante. Notre faux allié turc, abattant pour son propre compte (les Turkmènes de Syrie) un avion de notre faux adversaire russe est le dernier avatar de ce réacteur à conflit ; une seule chose a changé : la perfide Albion est remplacée par le tordu américain.

Battu par les Russes, l’Empire ottoman se joue des rivalités européennes, la Merkel de l’époque se nomme Victoria et elle protège un « moderne » sultan des visées, on s’en doute lubriques, de l’ours russe. Odessa et Sébastopol sont interdits à la flotte de guerre russe par les Occidentaux, mais la flotte turque, sous protection de la Royal Navy, se reconstitue en Méditerranée.
Justement, à l’autre bout de la Méditerranée, à Villefranche-sur-Mer, la moitié de la famille impériale russe festoie en compagnie des aristocrates piémontais. Six mois après la guerre, Victor-Emmanuel II pêche avec le grand Duc Michel ; de multiples navires russes sont ancrés pour l’hiver dans la baie. En 1858, le royaume de Sardaigne accorde le droit de mouillage pour des navires armés et des bâtiments au sol : la flotte russe a de nouveau une quille en Méditerranée.

Le 4 juin 1859, Mac Mahon (toujours lui) bouscule les Autrichiens à Magenta, l’Italie naissante tient sa promesse, un an après, le comté de Nice passe sous souveraineté française ; la base russe également.
Napoléon III ne touche à rien ; le jeu anglais lors de la crise du Mont-Liban est trouble, et ce sont des soldats français qui ont mis fin aux massacres des chrétiens (5.000 morts le 26 mai 1860 à Damas). Les Russes peuvent servir, d’autant plus que le tsar achète des navires de guerre à la France.

En 1863, mal inspiré, l’Empereur apporte son aide à la Pologne, le tsar dépité joue alors la carte prusse et récupère, à la chute de Napoléon III, le droit de navigation dans la mer Noire. La France est isolée dans son malheur, les Allemands l’ont flouée et pillée, l’Angleterre a laissé faire.
La libre navigation dans les Dardanelles étant reconnue, la Crimée redevient essentielle pour la présence russe en Méditerranée.

Un siècle après l’agressivité d’une Turquie qui joue de son appartenance à l’OTAN, son impunité dans l’affaire chypriote inquiète les Russes à qui la Syrie concède l’usage de la base navale de Tartous afin de garantir leur présence directe en Méditerranée.
L’Histoire ne se répète pas, mais elle sait jouer des similitudes. Si les dirigeants français avaient un peu de culture historique et le souci de la France, ils livreraient le Vladivostok à la Russie en rade de Villefranche.
Voilà qui aurait du sens et de la gueule.

Gérard Couvert – Boulevard Voltaire

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