Dominique Jamet s’est ému, à juste titre, de l’intention prêtée à la Commission européenne de s’opposer d’autorité au barrage de Sivens. Après la monnaie, le contrôle aux frontières, la défense nationale (via l’OTAN), sans parler de tout l’arsenal juridique européen qui, désormais, régit la vie économique de notre pays, voici maintenant l’aménagement du territoire. Ce qu’il y a de plus remarquable c’est que les textes constitutionnels en vigueur, la déclaration de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Constitution de 1958 sont absolument clairs sur la question : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » »
Que la souveraineté nationale appartienne au peuple interdisait mécaniquement à ses représentants de l’aliéner, notamment en faveur d’autorités étrangères ou d’organisations internationales. À cause de la question de l’OTAN, une première encoche à ce principe avait été prévue dans le préambule de la Constitution de 1947, « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et au maintien de la paix » (al. 15).
Avec la Ve République, c’est devant le Conseil constitutionnel que tout s’est joué. Celui-ci a été consulté à plusieurs reprises pour trancher sur la compatibilité des accords relatifs à la construction européenne avec la Constitution et, singulièrement, avec les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale. Lorsqu’il se prononçait dans un sens positif, les accords étaient entérinés de droit ; lorsqu’il se prononçait dans un sens négatif (beaucoup moins souvent), le gouvernement convoquait le Congrès (le référendum a été une exception) pour modifier la Constitution. En conséquence de quoi le texte de 1958, maintes fois amendé depuis, présente en 2014 cette singularité d’énoncer un principe et, simultanément, toute une série de dispositions qui lui sont contraires.
Le rôle du Conseil constitutionnel dans l’abandon, par la France, d’une grande partie des attributs de la souveraineté nationale a été décisif et sa neutralité politique qui, en théorie, doit être absolue peut être sérieusement mise en doute. Mais pouvait-il, à lui seul, faire obstacle à la marche inexorable vers une Europe fédérale, voulue aussi bien par le parti au pouvoir que par l’opposition, c’est-à-dire les deux formations politiques qui, depuis l’origine de la Ve République, se sont partagé tour à tour la désignation de la totalité de ses membres ?
Un Conseil constitutionnel sous contrôle et une procédure de modification de la Constitution qui dispense le gouvernement de l’obligation de consulter les électeurs : le ver était dans le fruit. Si demain il entrait dans les intentions de monsieur Juppé et de madame Merkel – pour, par exemple, faire échec à un Front national aux portes du pouvoir – de donner un violent coup d’accélérateur au processus d’intégration européenne, de fédéraliser l’espace européen, de supprimer la référence à l’hymne national et au drapeau bleu-blanc-rouge, de fusionner les exécutifs des pays membres et d’abolir les Parlements nationaux, dans l’état actuel de la Constitution, rien ni personne ne pourrait l’arrêter et la France disparaîtrait purement et simplement.