Le 11 novembre 1918, Jeanne Françoise fut l’une des premières à annoncer la signature de l’armistice. Pas toute jeune, cette Jeanne Françoise : elle avait été baptisée en 1821, sous Louis XVIII. Elle avait donc 97 ans. Jeanne Françoise vivait à Rethondes, dans l’Oise. Elle fut ainsi aux premières loges, ou presque, pour assister, du haut de chez elle, à cet événement qui mettait fin à la Grande Guerre.
Jeanne Françoise était l’une des deux cloches de l’église de Rethondes (on ne se souvient pas du nom de sa collègue de clocher). Car on donne un nom aux cloches. L’usage antique est même de les baptiser. Elles reçoivent parrain et marraine et la cérémonie est inscrite dans les registres paroissiaux. C’est peut-être, du reste, parce qu’elles ont une âme ! Les cloches font entendre, par-delà les âges, celle de la France. Ces deux cloches de Rethondes sonnèrent tant et plus, en ce jour historique, qu’elles rendirent non pas l’âme, mais leur voix, raconte un témoin de l’époque.
Ce même 11 novembre 1918, Jules Pams (1852-1930), ministre de l’Intérieur, télégraphiait aux préfets : « Pavoisez immédiatement. Faites illuminer ce soir les édifices publics, faites donner de suite les cloches à pleine volée et prenez toute disposition avec les autorités militaires pour que des salves soient tirées afin de porter à la connaissance des populations la signature de l’armistice. » Les cloches allèrent-elles plus vite que le télégraphe pour propager la nouvelle de village en ville, de modeste campanile roman en imposant clocher gothique – l’histoire ne le dit pas –, mais la grande Histoire a retenu que, ce jour-là, toutes les cloches de France sonnèrent à la volée.
En ce 11 novembre 2018, les cloches sonneront-elles le plénum dans toutes les communes de France ? Le 11 septembre dernier, Jean-Jacques Ferrara, député LR de Corse, suggérait cette idée dans une question écrite adressée au ministre de l’Intérieur. À ce jour, il ne semble pas avoir reçu de réponse officielle. Il est vrai que, ces derniers temps, on avait d’autres soucis, place Beauvau ! Cependant, à l’approche de l’échéance, on lit ici et là, notamment dans la presse quotidienne régionale, que de nombreux maires se préparent à faire sonner les cloches des églises de leur commune. La préfecture d’Indre-et-Loire vient même de demander aux maires de le faire. La préfète précise, d’ailleurs, que l’archevêque de Tours a donné son accord. Accord, au passage, qui n’est pas nécessaire ! En effet, précisons, y compris pour les grincheux d’une laïcité pointilleuse qui pourraient s’offusquer que l’on associe les cloches des églises à cette occasion, que la loi de 1905, décidément pas si mal faite dans une France alors majoritairement catholique, avait tout prévu. Elle stipule ainsi, dans l’un de ses articles, que si les cloches sont affectées « principalement au service du culte », elles peuvent être utilisées pour un « événement majeur ». Si le centenaire de l’armistice de 1918 n’est pas un « événement majeur » ! Ajoutons, pour l’anecdote, que la loi va même jusqu’à préciser qu’« une clef du clocher doit être déposée entre les mains du président ou directeur de l’association cultuelle, une autre entre les mains du maire ».
À quelques jours de la commémoration centenaire, les maires sont « invités », lit-on ici et là, à faire sonner les cloches le dimanche 11 novembre à 11 heures. Une association de campanistes, le Groupement des installateurs d’horlogerie d’édifices et d’équipements campanaires (GIHEC) en appelle, depuis plusieurs mois, à la mobilisation pour que ce 11 novembre, à 11 heures, les cloches sonnent partout en France pendant 11 minutes. Il s’agit-là d’une belle initiative, mais privée. Gageons que l’État saura donner des ordres aux préfets, qui les répercuteront aux maires, officiers publics. Des ordres aussi clairs que ceux du ministre de 1918.
Georges Michel -Boulevard Volatire