Rétrospective Bernard Buffet

Artiste brillant et mondain, le peintre a connu une gloire intense avant d’être renié par le milieu de l’art et de se suicider dans l’indifférence générale. La rétrospective du Musée d’Art Moderne tente de réhabiliter cet artiste incompris.
Il est beau, il est riche et possède la notoriété de Picasso. A vingt ans, Bernard Buffet incarne la star de la scène artistique de l’après-guerre. Cinquante ans plus tard, il se suicide dans l’indifférence générale. L’ascension et la chute d’un artiste aussi honni que vénéré.

Buffet, le flambeur

Bernard Buffet (1928-1999) n’a qu’une passion, la peinture. Son succès est aussi précoce qu’explosif. A 18 ans à peine, son nom est sur toutes les lèvres, tout le monde le réclame : il participe au Salon des Moins de Trente Ans, au Salon des Indépendants, au Salon des Beaux-Arts, au Salon d’Automne… L’Etat lui achète même un tableau, Nature morte au poulet lors de sa première exposition personnelle à librairie Impressions d’Art, située au 24 rue des Ecoles (5e).
Dans la foulée, le jeune artiste remporte le Prix de la Critique d’Art, ex-aequo avec Bernard Lorjou, de vingt ans son aîné, tandis que le marchand Emmanuel David lui propose un contrat d’exclusivité. Contre un salaire mensuel, Bernard Buffet s’engage à exposer chaque année, au mois de février, à la galerie David-Drouant, 52, de la rue du Faubourg Saint-Honoré (8e). Il est riche, célèbre et amoureux de Pierre Bergé.

Les deux hommes mènent la vie de château et roulent en Rolls Royce. Tel un acteur ou un chanteur, Bernard Buffet signe des autographes et fait la une des magazines, de Paris Match à Newsweek ou The Times. Jusqu’aux professionnels du monde de l’art qui l’élisent premier des dix meilleurs peintres de l’après-guerre, devant Alfred Manessier ou Nicolas de Stael (un classement paru dans la revue Connaissance des Arts). Trois ans plus tard, une rétrospective intitulée « Cent tableaux » avec des toiles réalisées entre 1944 et janvier 1958, attire plus de cent milles personnes.
Buffet a trente ans, il est au sommet de la gloire. Pourtant, Bergé le quitte pour Yves Saint Laurent.

“Une douleur peinte avec joie”
Désormais milliardaire, Buffet n’en continue pas moins à représenter des figures décharnées, des paysages désolées, des poissons réduits à de simples arêtes… Son ami Jean Cocteau compare son œuvre à une « douleur peinte avec joie » des visages et des corps décharnés. Mais dans les années qui suivent la Libération, l’heure n’est plus à la désolation, ni à la peinture « misérabiliste ». En outre, André Malraux, ministre chargé des Affaires culturelles, vient d’inaugurer la première Biennale de Paris qui sacre l’abstraction de Pierre Soulages ou de Georges Mathieu au détriment de la figuration.

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Reclus et à contre-courant

Totalement à contre-courant, Buffet publie La leçon de Jean-Antoine Gros, un texte dans lequel il plaide en faveur d’une nouvelle peinture d’histoire, affinant ainsi son image conservatrice face aux pionniers de l’avant-garde, les Nouveaux Réalistes comme les pionniers de l’art cinétique. Il choisit même Jeanne d’Arc pour thème de son exposition annuelle.
Imperturbable, il déclare : « Quand on sort de Paris, on voit d’énormes blocs où logent les gens, d’immenses cités, et puis, tout à coup, il y a le petit pavillon de banlieue, une sorte de dérision au milieu de ces monstres d’architecture moderne. Eh bien moi, je suis le petit pavillon de banlieue de la peinture moderne ». Et, reclus auprès d’Annabel, sa femme devenue sa muse, il travaille dix à quatorze heures par jour, et produit des clowns, des animaux, des crucifixions, des nature-mortes, des paysages…

” Bernard Buffet froid “
« Moi, je peins au jour le jour, ne sachant pas ce que je peindrai demain ni comment je le peindrai », confiait Bernard Buffet. Il travaille jusqu’à dix toiles à la fois en série et à la chaîne : de grands formats pour son marchand d’art, le fidèle Maurice Garnier, et des toiles au format plus modeste pour les propriétaires d’appartements bourgeois. Attendu chaque année en février par les collectionneurs de la galerie Garnier, il est oublié de toutes les institutions françaises.

L’écrivain Alain Bosquet résume en une question lapidaire l’opinion de l’intelligentsia sur celui que Salvador Dalí a baptisé « Bernard Buffet froid » : « Que puis-je éprouver d’autre devant un homme dans la force de l’âge, riche, influent, couvert de gloire, qui ne veut plus faire aucun effort, qui peint de faux petits châteaux dans de faux paysages pour de vrais débiles qui ont de vrais comptes en banque et une vraie vénération pour ce qui est à leur triste niveau ? ». Bernard Buffet s’isole, il quitte la sphère médiatique et poursuit son œuvre. A sa mort, il laissera plus de 8000 peintures, aquarelles, dessins, lithographies, gravures…

Retour en grâce ?

Nul n’est prophète en son pays. Au Japon, le collectionneur Kiichiro Okano ouvre en 1973 un musée Bernard Buffet ; en Russie, en 1991, deux expositions lui sont consacrées : l’une au musée Pouchkine de Moscou et l’autre, à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Dans l’Hexagone, ni son élection à l’Académie des Beaux-Arts (1974) ni sa promotion au grade d’officier de la Légion d’Honneur (1993) ne mettront fin à son purgatoire. La rétrospective que lui consacre le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris est non seulement l’occasion de découvrir au-delà de la polémique l’œuvre méconnue de l’un des artistes les plus célèbres du siècle dernier, mais représente le premier hommage jamais rendu par une institution à Bernard Buffet.

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris 11 Avenue du Président Wilson
75116 Paris
Tel. 01 53 67 40 00

www.mam.paris.fr

Ouvert du mardi au dimanche De 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h
Plein tarif : 12 € Tarif réduit : 9 €

 

Renseignements et réservations Tel. 01 53 67 40 80

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