« J’avais l’impression qu’on projetait ma vie sur un mur, les images, les paroles, tout me rappelait mon histoire avec Philippe. La violence de la fin de ce film m’a remuée plus que toute autre personne, c’était terrible. Je vous raconte ce film, Avant toi, paru en juin dernier : suite à un accident, un jeune homme est devenu tétraplégique. Acceptant difficilement sa situation et n’envisageant pas l’avenir, il demande à ses parents de l’emmener dans un centre en Suisse pour mourir. Ses parents sont désespérés mais respectent la liberté de leur fils. Ils tentent cependant de le faire revenir sur sa décision en lui redonnant le goût de vivre, en l’incitant à rester avec sa petite amie. Mais lui conserve toujours cette idée d’aller mourir : “Je ne veux pas que tu rates toutes les choses qu’une autre personne pourrait t’offrir” dit-il sa petite amie. Elle le supplie de rester, lui assure qu’elle l’aime, qu’elle saura le rendre heureux. Mais lui, ne parvenant plus à faire face au handicap et à sa douleur, reste accroché à sa décision. »
Cette histoire suscite chez Martha Kayser une vive réaction très douloureuse. Elle a vécu une histoire presque identique. Malgré le handicap de Philippe, infirme moteur cérébral (IMC) depuis sa naissance, elle a choisi de l’aimer et de l’épouser. Elle a fait face à ces mêmes épreuves que pose le handicap, elle comprend mieux que quiconque ce que vivent les deux protagonistes du film. Mais dans le film, le jeune homme affirme qu’il vaut mieux pour sa petite amie et pour lui qu’il meure, ne voulant pas imposer son handicap, ni lui ôter tout ce qu’un autre homme pourrait lui offrir. A l’inverse, Philippe croit, a osé croire, qu’il pourrait rendre une femme heureuse, tel qu’il était. Et Martha fut convaincue : elle a compris qu’elle raterait toutes les meilleures choses sans lui, qu’aucun homme ne pourrait rien lui offrir de mieux.
Avec lui, elle a fondé une famille, et élevé cinq enfants. « J’ai épousé un homme merveilleux, j’ai ri pendant vingt ans, et j’étais au plus mal lorsqu’il est parti ! » Vingt-et-un ans magnifiques et débordantes de vie qui n’ont jamais cessé, malgré la dégradation de l’état de santé de Philippe à partir de leur quinze ans de mariage – un nouvel handicap s’est superposé au premier lui faisant perdre toute l’autonomie acquise jusque-là –, malgré la souffrance et les larmes. L’histoire est la même, mais la fin et donc le sens, en sont totalement différents, et ce copier-coller, cette projection de sa vie la rend furieuse : elle désire témoigner autant qu’elle le peut de ce qu’elle a connu, pour montrer que la solution proposée par ce film diffusé à grande échelle n’est pas la seule !
« Oh comme je comprends combien il peut être difficile pour une personne handicapée, et surtout si elle n’est pas née avec ce handicap, d’affronter la vie. Je l’ai vécu de près. Mais je suis si triste, si révoltée de voir ce que propose ce film au grand public. Ce film refuse de dire que l’amour est plus grand que la souffrance. Non ! On doit proposer la vie à ceux qui souffrent, c’est trop facile de proposer la mort à des personnes qui sont déjà en état de faiblesse. On n’aide pas quelqu’un de cette façon. »
Le film, sorti en juin 2016 au cinéma, réalisé par Thea Sharrock à partir du roman de Jojo Moyes, aborde sans se cacher le sujet de l’euthanasie. Il familiarise avec ce moyen encore contesté et non encore légalisé, de faire face à la souffrance en y mettant fin. « Aujourd’hui, on ne propose plus aux gens de vivre, de se battre. Mais choisissez la vie ! Mes paroles ne sont pas théoriques, j’ai vécu auprès d’un homme qui l’a fait ». Pour Martha, qu’il est révoltant de proposer la mort aux personnes affaiblies par les épreuves de la vie !
« Quelle tristesse que Philippe nous ait quitté si vite. Mais il eut le temps de nous montrer que le handicap n’est pas une fatalité. Son courage, sa force d’âme, sa confiance des dernières années se sont répercutés sur moi sa femme, ses enfants, et tout son entourage. Quel homme !
Ne possédant pas tous une expérience propre aussi particulière, nous ne pouvons sans doute pas tous témoigner aussi personnellement que l’euthanasie n’est pas la solution. C’est pourquoi consciente de l’originalité de son histoire, Martha désire l’offrir pour que chacun puisse montrer qu’il est possible autrement, et d’une façon bien plus grande !
La fin du film est bouleversante et déstabilisante : après avoir pleuré, reproché à Will son égoïsme, Clarke, la jeune femme, prise de regret, le retrouve en Suisse pour lui dire adieu. Elle le quitte le cœur libre et heureux, et quelques semaines après la mort de celui qu’elle aimait, elle ouvre une lettre qu’il lui a laissé : il lui souhaite une belle vie et le film s’achève avec une jolie musique. Joyeuse, elle sourit et semble heureuse. L’impression de paix, de sérénité confirme que son choix était le bon. L’agencement de l’histoire n’est absolument pas anodin. La façon naturelle dont Clarke se révolte contre la volonté de mourir de Will est présentée comme une faute, un excès de passion dont elle culpabilise et se repent. C’est pour Martha quelque chose d’incompréhensible : « La mort naturelle est déjà très difficile à accepter car nous n’y pouvons rien. Mais choisir délibérément la mort alors qu’il y a une chance de vivre… Ce choix me laisse sans mot. »
Dans ses livres La victoire de l’amour et Toujours plus d’amour, Martha révèle la plénitude de son histoire, la beauté de celle-ci, toute nourrie de vie. La souffrance a su danser avec l’amour, et l’amour s’est sans cesse embelli.
Un professeur d’éthique américain porte sur ce film une critique qu’elle fait sienne : « Avant toi montre l’euthanasie comme un acte d’amour et courageux. En vérité, c’est le contraire. Vivre avec un handicap est beaucoup plus courageux que de mettre un terme au combat. Donner à ceux que vous aimez le don de vous-mêmes, quelque soit l’état de votre vie, est bien plus courageux que de leur refuser votre vie. Nous appartenons à tous ceux qui nous aiment. »