Par LM De Woillemont
Pourquoi y a-t-il quelques chose plutôt que rien ?» Voilà le genre de questions que se posent parfois les philosophes. Cette question est plutôt oiseuse, car de fait, il y a quelques chose !
La question à laquelle le livre de l’abbé de Tanoüarn pourrait répondre serait plutôt : pourquoi y a-t-il du mal ? Quelle réponse le Dieu d’Amour apporte-t-il au scandale du Mal et de la Souffrance ? Et ces questions là sont de vraies questions. Pourquoi m’arrive-t-il de faire le mal ? Pourquoi dois-je subir le mal que l’on me fait ? Pourquoi tant de souffrance sur cette terre ? Bref une réflexion sur une pratique qui nous concerne tous.
On peut traiter cette question de façon académique ; il suffit de réciter un catéchisme quel qu’il soit. On peut aussi se poser en vierge effarouchée devant un tel scandale. Ces attitudes sont tout à fait respectables mais n’apportent guère de solution, ni de réponse.
De la part de l’abbé de Tanoüarn on peut attendre à plus. D’un pasteur, d’un théologien, d’un philosophe et d’un homme de médias on exige plus ! Et l’abbé répond présent.
En prenant la question à bras le corps en se la coltinant comme un lutteur avec toute la force et le courage intellectuel et physique qu’on lui connaît. Et puis, aussi, en allant au texte ! En scrutant la Bible, en exigeant de Dieu qu’il nous livre une réponse, en le traquant dans sa Parole, et en allant jusqu’au pied de la Croix avec Marie se laissant asperger de ce sang précieux, comme les grands prêtres Juifs l’avaient demandé en gage de Rédemption, sans vraiment savoir ce qu’ils faisaient.
Mais l’abbé de Tanoüarn, lui, veut savoir ; il veut entrer dans le mystère du Mal et mettre à nu le cœur de Dieu. On ne ressort pas indemne de cet exercice de haute volée, qui est aussi une descente aux enfers avec Dieu pour compagnon… La Gloire de Dieu serait elle dans sa Croix comme l’indique H.U. von Balthazar ? À moins que la gloire de Dieu, c’est à dire la personne du Christ, ait accepté de «se faire péché pour nous», comme l’indique st Paul (Galates 3,13 et II Corinthiens 5,21). Parce qu’il faut lire le texte sacré et l’accepter tel quel, l’abbé pose la question : «le fils de Dieu s’est-il fait péché pour nous sans connaître le péché ? Sans savoir ? Sans s’attendre à ce qui lui arriverait ? Impossible» tranche-t-il (p 28).
Mais le sol s’effondre car si Dieu est péché, la raison vacille…Le grand secret c’est que le mal est surnaturel puisque c’est “contre les puissances et les dominations qui sont dans ce monde de ténèbres” que St Paul nous invite à combattre. L’abbé se fait parfois mystique : “Nous nous ignorons nous-même lorsque nous ne saisissons pas que nous sommes faits pour Lui.” Et voilà le prêtre qui se met à défendre le péché “Nous avons peur du péché et c’est à tort. Sans le péché, il n’y aurait pas l’humilité et sans l’humilité c’est à dire sans la remise de soi à Dieu il n’y aurait pas la divinisation”.
L’abbé va jusqu’à affirmer “on peut dire que le mal est une invention de Dieu : l’épreuve qui se dresse entre soi et son bonheur. L’épreuve qu’il faut emporter pour devenir Dieu“. Bref, “Dieu nous demande d’accepter la croix pour avoir la gloire”. Pour lui, dans la perspective thomiste, selon laquelle Dieu est cause libre de tout ce qui advient, il est.
Impossible de mettre le mal entre parenthèse. “Dieu EST l’histoire du monde dans toutes ses dimensions meme les plus horribles”. Ce en quoi il s’oppose aux philosophes et théologiens juifs, qui au nom du Tsimtsoum kabbalistique enterinent le retrait divin pour expliquer le silence de Dieu à Auschwitz, par exemple. Non Dieu ne saurait être “innocent du mal” contrairement à ce que pense Jean-Michel Garrigues “une sorte d’Impuissant métaphysique” les bras ballants “devant le fait accompli et l’horreur réalisée”.
L’abbé va loin très loin dnas sa réflexion mais le sujet est trop central pour répondre par un silence gêné comme pour excuser Dieu. Car ce qui est en jeu c’est la foi et le salut des âmes. Alors, il faut mettre le paquet, comme dirait l’amuseur Bigard.
Une des questions auxquelles il faut répondre pour oser aborder le Mal est de savoir lire la Bible, car c’est là qu’est la réponse. Comment donc lire cette “Bibliothèque sublime” selon la belle expresion de l’auteur. C’est, à ses yeux, suffisamment important, que dire fondamental, fondateur même, qu’il en a fait l’objet de son Introduction. L’Ecriture est une “lecture de l’histoire du monde et de l’existence humaine qui tend à en donner la vérité”. Quelle sa méthode pour lire la Bible ? “Nous prenons le texte comme il est”, “en cherchant ardemment le sens littéral” c’est à dire dans la lignée de Pie XII (Divino afflante Spiritu), “le sens que l’écrivain sacré a eu l’intention de donner à son texte”. L’abbé est un disciple de St Thomas bien plus que du Concile de Trente. A la suite de son maître à penser, via son cher cardinal Cajetan, il affirme que “seule l’écriture canonique est la règle de la foi”. Le mot important est bien entendu “canonique”, c’est à dire tel que défini par l’Eglise depuis l’année 177 environ. Nul n’est autorisé à modifier ce dépôt sacré quand bien même on serait un moine augustinien du XVIème siécle soumis à telle ou telle pulsion théologique ou autre. “Tout l’enseignement divin se trouve dans l’Ecriture” et la Tradition n’en est que le critérium. Voilà ce qu’écrit un homme traité de traditionaliste ! L’abbé en profite pour indiquer à nos amis protestants que tous les dogmes catholiques ont leur fondement dans la sainte Ecriture.
Il est impossible de faire le tour de ce livre en une page. Je crois vraiment qu’il marquera un tournant théologique sur cette question du Mal. En tournant et retournant le texte sacré pour le dévorer sans fin, l’abbé nous ouvre un immense horizon. C’est, en cette période ou le Mal abonde et surabonde, le livre à lire pour découvrir comment Dieu est au coeur de la souffrance des hommes et en quoi la seule réponse est bien celle que Dieu a voulu pour lui et pour nous, sa Croix.
Ce livre nous sort de ce chemin de culpabilisation qui semble la pire perversion du christianisme dénaturé : son objet est bien au contraire de nous libérer, de nous donner cette vérité qui seule nous rendra libre.
Un livre de profonde méditation, mais aussi, mais surtout agréable à lire ; un livre de carême c’est-à-dire d’un temps béni dédié à l’élévation spirituelle.
Lu sur Salon beige