Par Patrick Wagner*
Benoît Duteurtre. La cinquantaine. Ecrivain, essayiste, critique musical. Arrière-petit-fils de René Coty. Voilà pour le pedigree. Mais passons à l’essentiel. A l’écriture. Aux thématiques chères à cet éternel adolescent, qui a déjà publié plus d’une vingtaine d’ouvrages. Touche-à-tout farceur et facétieux en diable, l’auteur passe au crible la modernité à la mode Philippe Muray.
Aussi, depuis Le Retour du général (roman, 2010), on pouvait s’attendre à tout. De là à s’immiscer dans la maison de saint Pierre, il y avait un pas que l’auteur a franchi avec allégresse, frivolité mais aussi et surtout alacrité. Pour notre plus grand bonheur. Il faut dire que Duteurtre nous a habitués dans ses précédents ouvrages à soulever nos ridicules et travers à la façon d’un Perse venu du Cotentin conquérir Paris. N’est pas Rastignac qui veut, pourtant. Alors, à défaut de génie, Duteurtre se contentera de peindre notre société, avec un œil malicieux, scrupuleux mais jamais sournois.
Cabotin créatif, il n’en reste pas moins un bon enfant qui assiste à l’heure aux repas et suis son petit bonhomme de chemin sans trop d’éclaboussement ou prise de risque : « J’avais toujours aimé observer mes semblables et je me sentais facilement étranger aux situations, quand bien même je semblais y participer. J’avais traversé le monde en m’y intéressant, mais sans m’y fondre vraiment. »
Qu’en est-il dans ce dernier roman ? Un cadre. Sa femme, un fils. Le train-train d’une vie normale où la bien-pensance se veut la norme… mais ce serait trop simple et ennuyeux. En fouillant dans la vie privée des gens on trouve toujours un os à rogner, qui plus est sous couvert de défense des minorités de tout poil. Les associations en tous genres veillent et ne relâchent pas leur pression insupportable et totalitaire. De même internet, les réseaux sociaux où l’on s’expose sans tabou, sont devenus les bras armés du politiquement correct. Les victimes sont piégées par leurs propres actes. Big brother is watching you est désormais plus qu’un concept, une réalité amère que bon nombre de personnes ne perçoivent pas encore, ou trop tard, à l’instar du héros, haut fonctionnaire, rapporteur de la Commission des libertés publiques ! Sa vie en sera bouleversée comme celle de milliers d’autres lors du grand dérèglement du 14 mai qui verra disparaître la confidentialité des courriers électroniques, tout comme celle des sms. Là où Duteurtre a gardé une âme d’enfant, c’est qu’il envoie notre haut fonctionnaire à la rencontre de saint Pierre. Et quelle n’est pas sa désillusion lorsqu’il s’aperçoit que les mêmes maux sévissent au ciel ! Le pêcheur de Génésareth cherchant lui-même des réponses pour assurer la bonne marche du paradis… sur le réseau !
• Benoît Duteurtre, L’Ordinateur du paradis, Gallimard, 212 pages, 17,50 euros.
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