Les grands écrivains et les assassins en série

Les 4 Vérités

Nicolas Bonnal

La société actuelle, qui ignore le péché originel, se gorge de monstruosités diverses et de cannibales lecteurs ; mais si une once de violence sur le terrain se manifeste, elle s’offusque : et de s’interroger sur les raisons bien sûr politiques d’un massacre en série. Car tout électeur populiste est un assassin en masse qui s’ignore.

Sauf que pour le massacre de Nanterre, on ne parle ni de l’écologie ni de la ligue des droits de l’homme, et que lorsque des musulmans massacrent qui l’on veut où l’on veut, on s’empresse de déclarer savamment que ce n’était pas écrit expressément dans le Coran, et que l’islam bien sûr est une religion d’amour, de tolérance et de prêchi-prêcha, etc.

Les écrivains du XIXème siècle avaient, eux, les yeux bien ouverts sur l’humanité massifiée. Reprenons le grand classique sur l’envie de tuer : Crime et châtiment. Voici ce qu’écrit Dostoïevski (photo) de la tentation de Raskolnikov ; ce dernier entend d’ailleurs une conversation d’étudiants qui reproduit sa propre obsession. Cela signifie qu’il n’est pas une exception.

Je plaisantais, évidemment, mais écoute : d’un côté, cette vieille femme stupide, insensée, médiocre, malade, méchante, dont personne n’a besoin, et qui même au contraire est nuisible, qui ne sait pas elle-même pourquoi elle vit et qui bientôt mourra naturellement.

Le dégoût de son prochain est le fondement, dans la société déchristianisée, de cette volonté d’éliminer autrui : l’enfer c’est les autres, n’est-ce pas ?

Mais est-ce que la vie de cette misérable et stupide vieille phtisique compte dans la balance commune ? Pas plus que la vie d’un cafard, d’un pou et moins encore, car elle est nuisible. Elle empeste la vie des autres…

Sur la passivité des victimes modernes et de tous les temps d’ailleurs, Dostoïevski écrit fort à propos ces lignes :

Lisaveta est à ce point simple, à ce point habituée aux coups et aux brimades, qu’elle ne lève même pas la main pour se protéger le visage, quoique ce soit le geste le plus naturel à faire en cet instant où la hache est levée au-dessus de sa figure.

Comme on le sait, Dostoïevski a beaucoup influencé les Français. Il a inspiré Camus et son Étranger célèbre (qui tue un arabe armé à cause d’un coup de soleil, mais qui est jugé et guillotiné… sacrée France coloniale et raciste tout de même !), Sartre et son Erostrate, la troisième nouvelle de l’excellent recueil Le Mur (qui parle aussi de l’extrême droite dans l’Enfance d’un chef, mais plus intelligemment que Libération…). Erostrate, qui est bien sûr inspiré de l’incident de l’antiquité grecque, narre la geste d’un petit-bourgeois qui rêve de tuer, tue en effet un passant dans la rue, puis se dégonfle et se rend à la police, après avoir glissé son revolver par-dessous la porte des toilettes publiques… Il y a certes une dimension absurde et existentialiste dans tous les actes insensés qui se déroulent maintenant un peu partout dans nos sociétés de lemmings en conserve. Cela ne signifie pas qu’il faut brûler l’existentialisme ou l’absurde, cela signifie que Sartre et Camus avaient bien vu le problème.

Autre lecteur de Dostoïevski, Gide qui, dans ses célèbres et oubliées caves du Vatican (roman conspirationiste avant l’heure, qui parle des jésuites et des francs-maçons…), nous propose le cas désormais scolaire de l’assassinat gratuit commis par Lafcadio : ce dernier est toutefois exaspéré par sa victime, dont il affirme : iln’a pas l’air heureux. Il doit souffrir d’une fistule, ou de quelque affection cachée. L’aiderai-je! Il n’y parviendra pas tout seul…

Il se propose donc un challenge, comme tous les assassins hollywoodiens ou hitchcockiens : Un crime immotivé, continuait Lafcadio: quel embarras pour la police ! A travers son jeune et blond héros, Gide célèbre le libre développement de la faculté créatrice, puis affirme comme tout bon soixante-huitard que de ces cadres sociaux qui nous enserrent, un adolescent a voulu s’échapper; un adolescent sympathique…

Enfin (mais on pourrait écrire un livre sur le sujet), je citerai cette nouvelle de Roald Dahl (Crash, Charlie et la chocolaterie), qui fascinait Philippe Muray, où l’on voit des enfants normaux « inexplicablement » exterminer la population des adultes bobos d’un condominium de luxe. Dahl annonce assez bien ces assassinats de campus, fruits d’une éducation massifiée, des jeux vidéo, du confort matériel qui dégénère en angoisse existentielle. C’est l’ère du vide de Lipovetski, l’époque du cauchemar conditionné d’Henry Miller, mais dont on ne vient plus à bout que par le fusil-mitrailleur en vente libre.

Faut-il que ces messieurs Dostoïevski, Sartre ou Camus, Gide, Dahl soient islamophobes pour ne pas comprendre les réelles raisons d’un assassin de masse !

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