Le 20 mai 1974, Jean Daniélou disparaissait à Paris. Historien, essayiste, créé cardinal par Paul VI en 1969, académicien, le célèbre théologien a grandement contribué au renouveau des études patristiques en France.
Le cardinal Daniélou fut avec Balthasar, de Lubac et Louis Bouyer un des principaux artisans du renouvellement de la théologie dans la deuxième partie du vingtième siècle. En juin 1942, il avait publié dans la « Collection catholique » des éditions Gallimard, Le signe du Temple qu’il qualifie lui-même d’ « opuscule de spiritualité patristique sur la présence de Dieu ». De ce petit livre, le cardinal de Lubac dira qu’il « n’a point d’analogue précis dans la littérature religieuse de notre temps » et que toute sa nouveauté lui vient « non seulement d’un esprit, mais d’une structure profondément traditionnelle ». Pour le père de Lubac, « la preuve est ainsi faite que la pensée des premiers siècles chrétiens est toujours vivante, et que si nous n’en vivons pas davantage la faute en est à nous-mêmes ».
Une chaire prestigieuse
Tous deux, en cette même année 1942, lancent la fameuse collection des « Sources chrétiennes ». En 1943, le père Daniélou succède au père Lebreton dans la chaire d’histoire des origines chrétiennes de l’Institut catholique de Paris. De cet enseignement naîtront les ouvrages savants et techniques du cardinal Daniélou et tout particulièrement son Histoire des doctrines chrétiennes avant Nicée. Le premier volume de cette grande fresque historique parut en 1958 : c’est la Théologie du judéo-christianisme qui révélait un visage peu connu de l’Église primitive.
Avant que la théologie chrétienne utilise les instruments intellectuels forgés par les penseurs grecs, elle a utilisé les cadres de la pensée juive de l’époque, c’est-à-dire pratiquement de l’apocalyptique. Par truchement de la liturgie notamment, certains symboles et certains schémas de pensée de ces tout premiers « théologiens » se sont définitivement incorporés à la tradition chrétienne, comme la descente aux enfers ou l’Ascension. En particulier, prend alors naissance toute une symbolique de la croix : l’instrument de supplice du Christ, devenu le signe de sa victoire. Nous entrons là en pleine «théologie de l’histoire », et c’est là un des principaux caractères de cette théologie archaïque relevé par le père Daniélou. Il en soulignait aussi l’aspect plus populaire et catéchétique que spéculatif, comme le seront davantage les textes et les auteurs étudiés dans le deuxième volume de cette trilogie.
Message évangélique et culture hellénistique, publié en 1961, montre l’«inculturation» du christianisme dans la pensée grecque. On y voit ce que les premiers Pères grecs, tels Justin, Irénée, Clément et Origène, ont retenu ou rejeté de la culture grecque. Aux philosophes grecs, les Pères ont emprunté les règnes du raisonnement qui conduiront progressivement à l’élaboration d’une théologie spéculative. En confrontant la typologie chrétienne avec l’allégorie hellénistique, le père Daniélou montre que la première est toujours en relation étroite avec l’histoire du Salut : les évènements et les personnages de l’Ancien Testament sont, pour la tradition patristique, des « types » d’évènements et de personnages du Nouveau. Ces figures bibliques peuvent ensuite s’appliquer analogiquement à l’histoire de l’Église et à celle de chaque chrétien. Le cardinal Daniélou aimait à répéter que nous vivions toujours dans l’Histoire sainte, et que les sacrements, en particulier, continuaient pour nous les magnalia Dei, les merveilles que Dieu avait faites pour son peuple sous l’Ancienne loi. Avec Les origines du christianisme latin s’achevait l’histoire du christianisme des origines. Le christianisme est susceptible d’emprunter des véhicules culturels différents pour exprimer la foi révélée, mais toujours en les rectifiant pour leur faire vraiment dire ce que le christianisme apporte de radicalement nouveau.
Un infatigable apôtre
Outre ces trois gros volumes sur l’histoire des doctrines chrétiennes le cardinal Daniélou a consacré des monographies à saint Grégoire de Nysse (sa thèse de doctorat, 1943), Origène (1948), Philon d’Alexandrie (1958), des études sur les commentaires scripturaires des Pères de l’Église et sur les symboles chrétiens primitifs, dont Bible et liturgie qui montrait comment la vie chrétienne tout entière est centrée autour du culte. Le cardinal Daniélou a été aussi un infatigable apôtre. D’où une deuxième série de livres nés de son enseignement aux Sèvriennes et aux étudiants de Sorbonne et d’ailleurs comme : Dieu et nous, Approches du Christ, Mythes païens et mystère chrétienou au Cercle Saint-Jean-Baptiste comme Le mystère du salut des nations, Les Anges et leur missionet la série des commentaires bibliques d’Au commencement à L’Église des Apôtres. Enfin, parce qu’il était persuadé que la religion de l’homme était la grande idolâtrie de ce temps, il a employé toutes ses forces à lutter contre les « abandons du dedans » dont il pensait qu’en ces dernières années ils constituaient un danger pour l’avenir de la foi plus grand que les «attaques du dehors».
Et cela a donné une troisième série de livres issus des innombrables conférences qu’il faisait en France et à travers le monde et des articles qu’il écrivait. Il rappelait ainsi la valeur de l’intelligence et sa capacité d’affirmer l’être et le vrai (Scandaleuse vérité). Il défendait les institutions chrétiennes et disait que la cité des hommes devait faire sa place à la prière et à l’adoration (L’oraison, problème politique). Face à la contestation, à ses mises en question, il a rappelé la vocation de l’homme qui est créé par et pour Dieu (L’avenir de la religion), et que l’Église a été instituée par le Christ pour que la sainteté soit possible (Pourquoi l’Église ?). Pour le cardinal de Lubac, le père Daniélou a usé ses forces pour porter témoignage au Christ « à l’intérieur d’une Église où sévit la tentation de corrompre l’Évangile ». Il « a succombé dans un effort contrecarré par ceux-là même qui auraient dû le soutenir ».