On pouvait croire que la chanson traditionnelle faisait partie de ces domaines du patrimoine formant consensus, depuis ses collectes commencées sous le Second Empire et poursuivies par les « hussards noirs » de la IIIe République, les recueils de chants scouts, sa diffusion dans la jeunesse par l’Etat français et sa « redécouverte » par les folkeux issus de Mai 68. Mais les petits soldats de l’invasion culturelle et du démembrement de l’identité musicale française et européenne s’en prennent maintenant aux chants de marins. Le festival du chant de marin de Paimpol a vu son titre complété par « et des musiques des mers du monde ». Un ajout indispensable, qui va permettre d’entendre des chants des marines du Mali, de Kabylie et de Turquie… Une nouvelle clientèle est en vue ?
Michel Colleu, musicologue du chant de marin et créateur du Trophée capitaine Hayet en 1998, pouvait déplorer que les organisateurs des grandes fêtes maritimes estivales de Bretagne « mettent en exergue la convivialité de leur événement et l’ambiance créée par les chants de marins, bien que ceux-ci ne fassent plus guère partie du programme musical valorisé ». Ces festivals maritimes sont, comme les fêtes médiévales ou historiques, des fêtes communautaires où les Français de vieille race aiment à se retrouver entre eux. Des fêtes où il est encore possible de ressentir le souffle des anciennes traditions, qui sont comme autant de repères pour les choix des temps présents. Le chant de marin breton, voire anglo-saxon et européen, n’est pas assez diversifié pour le monde de demain.
Le sort des chants des Alpinis est encore pire. Ces troupes alpines italiennes entretiennent des chorales aux répertoires magnifiques (Sul cappello, Ta pum, Monte Canino, Il testamento del capitano…). Le 16 août dernier, le diocèse de Vittorio Veneto leur a interdit de lire à l’église leur prière historique, la prière des Alpinis, qui dit : « Rendez fortes nos armes contre quiconque menace notre patrie, notre drapeau, notre civilisation chrétienne millénaire. » Une phrase qui vient juste après celle qui dit que les Alpinis sont « armés de foi et d’amour ». Cette prière, consacrée depuis plus de 80 ans par les aumôniers de ces soldats, pourrait-elle être mal interprétée alors que des centaines de milliers d’Africains débarquent sur les côtes italiennes ?
Les Charlies en action : le label de musique alternative Mass Productions vient de déprogrammer le groupe La Souris Déglinguée au motif qu’il avait accepté de jouer pour le dernier festival de la ville FN de Fréjus, qui plus est après le groupe de RIF In Memoriam. Rennais, ce label est dans la nébuleuse des structures subventionnées par la Ville de Rennes, le Conseil régional, le conseil général, la DRAC… Il doit un retour sur investissement, la liberté d’expression n’est qu’un vague souvenir. Le contrôle de la jeunesse par la chanson reste un objectif stratégique pour ceux qui gouvernent.
Thierry Bouzard – Présent
