Comme disait ma grand-mère d’Alain Sanders

Grâce à Alain Sanders, authentique pied-noir du Maroc, né à Salé, la vieille et mordante cité corsaire (ou pirate), éternelle sœur rivale de la placide Rabat et réputée la plus ardemment mahométane de l’empire chérifien sous le Protectorat (1912-1956), nous connaissons déjà la véritable origine du mot « pied-noir » lancé par hasard à Casablanca vers 1950 (1).

Avec son nouveau livre, Comme disait ma grand-mère… et autres souvenirs du Maroc heureux, Sanders nous fait pénétrer dans l’intimité des Européens du Maroc (500 000 environ en 1955, en comptant ceux de la zone septentrionale placée sous protection espagnole, sur un total de dix millions d’âmes alors dans toute la Chérifie) au cours de la décennie cruciale 1950-1960, ces années tumultueuses où l’Empire des Alaouites va devenir le Royaume du Maroc et se séparer de la France sans pour autant renier ou défigurer le travail français impulsé à grande échelle par le maréchal Lyautey en faveur des autochtones arabo-berbères (ou « indigènes », car cette désignation n’est pas, ne fut pas, dépréciative, tout homme étant par définition originaire d’un terroir précis, et cela quoiqu’en aient pu dire quelques nationalistes outranciers de l’Istiqlal…).

Donc Sanders, partant du goût bien français (et aussi bien marocain) de son aïeule pour les aphorismes de bon sens type « Je lâche mes coqs, rentrez vos poules » ou « Le poil, c’est l’homme », ressuscitant les dits et gestes de son grand-père, fournisseur du Palais, de son père, inspecteur de police, de ses instituteurs et de ses condisciples, reconstitue le décor et l’atmosphère, bref la vie quotidienne, d’un petit peuple latin qui, à peine enraciné en terre arabo-berbère, va être obligé par les aléas politiques de la quitter sans que personne, à Paris, esquisse un geste de réconfort en direction de ces pionniers soudain regardés de haut par leur métropole. Vae Victis ! Il faudra attendre des lustres pour qu’un journaliste de gauche, Daniel Rondeau, se penche avec compassion sur « la longue peine du peuple pied-noir étrillé par l’Histoire ». Et encore les Européens du Maroc eurent-ils un sort bien moins rude que leurs pareils de Tunisie et surtout d’Algérie !

L’un des miracles du Maroc de Mohammed VI, régnant depuis 1999 après son francophile de père Hassan II, est que quelques lignées de pieds-noirs ont pu s’y perpétuer à peu près tranquillement jusqu’à nos jours dans des domaines tels que l’hôtellerie, la restauration, certaines industries légères, la vinification ou encore… la fabrication de bougies, celles-ci étant utilisées aussi bien dans les églises que sous les coupoles maraboutiques.

Sanders a peut-être cru écrire seulement un petit livre léger, distrayant, un brin nostalgique et, surtout, plein de bonne humeur et de bons mots. Il nous apporte pourtant une abondante cargaison de faits vrais, vécus, qui pourraient utilement servir le jour où, enfin, sans préjugés idéologiques, sera réalisée une consistanteHistoire des pieds-noirs, avec leur labeur, leurs réussites et leurs échecs et aussi leurs spécificités littéraires et gastronomiques.

Péroncel-Hugoz

Péroncel-Hugoz est le directeur de la collection « Maroc » chez Africorient à Casablanca.

(1) Sanders a notamment expliqué cette origine dans Présent du 12 octobre 2007, article repris en partie page 223 de mon récent essai 2 000 ans d’histoires marocaines.

Comme disait ma grand-mère, Alain Sanders

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