Entamée dès 2010 ave Alice aux pays des merveilles, la tendance actuelle de Disney à vouloir réadapter en prises de vues réelles ses classiques se poursuit aujourd’hui avec Le Roi lion. Après avoir, tour à tour, revisité La Belle au bois dormant, Cendrillon, Le Livre de la jungle, La Belle et la Bête, Dumbo et Aladdin, le studio aux grandes oreilles retrouve l’un de ses derniers grands succès 2D en salles avant que l’animation 3D ne vînt bouleverser nos habitudes au courant des années 90, avec notamment la saga Toy Story.
Car si, en effet, les derniers Disney traditionnels expérimentèrent la 3D sur quelques plans en mouvement, à la manière d’un travelling ou d’un panoramique, nous étions encore loin de cette macédoine d’images numériques désincarnées, lisses et froides que nous dispense allègrement le studio depuis les années 2000.
Soyons honnête, Le Roi lion n’était clairement pas un film irréprochable, le niveau de ses dialogues n’égalait nullement celui auquel nous avait habitués Disney durant les décennies 1950, 1960 et 1970. Autrefois, c’était au jeune spectateur de s’adapter aux textes (souvent complexes) et de faire un effort de compréhension. À partir des années 90, on vit le basculement inverse, le dessin animé dut se rendre compréhensible aux enfants. De là, les répliques de plus en plus crétines à base d’onomatopées qui parsèment depuis lors les productions Walt Disney.
Le Roi lion, en dépit de ses faiblesses, bénéficiait toutefois d’un propos aussi puissant qu’intemporel et, au-delà de sa relecture évidente d’Hamlet, s’aventurait même à pas légers sur le terrain glissant de la philosophie politique. C’est bien simple, les trente premières minutes du récit – et les scénaristes le firent sans doute inconsciemment – passaient en revue les arguments principaux de la pensée royaliste. Du discours du roi Mufasa, expliquant à son fils que le royaume ne lui appartient pas et qu’il n’en est que le protecteur temporaire, à l’exposé sur les liens d’interdépendance et d’harmonie entre le peuple et son souverain, nous avons là un propos qu’aurait pu signer des deux mains Charles Maurras, figure de proue de l’école d’Action française.
Cela, sans omettre le souci de la continuité dans les politiques menées, la nécessité d’un pouvoir fort, indépendant de toute coterie, et l’évocation des « ennemis de l’intérieur », ces hyènes introduites dans le royaume par un agent de l’étranger, Scar, frère jaloux du roi Mufasa, prêt à fermer les yeux sur leurs déprédations s’il veut s’assurer leur soutien afin de prendre et de conserver durablement le pouvoir – toute ressemblance avec des schémas existants de calculs politiciens (passés et présents) est évidemment fortuite…
On pourrait aussi ajouter au tableau cette allusion appuyée à l’alliance indéfectible du trône et de l’autel symbolisée par la relation étroite qu’entretient le « prêtre » Rafiki avec la dynastie en place.
Avec son discours patriotique à la coloration monarchiste, Le Roi lion fut, à n’en pas douter, l’un des Disney les plus subtils, toutes périodes confondues. Son succès en salles résonnait naturellement comme un écho au bon sens populaire, une manifestation de l’inconscient collectif nourri du passé des peuples européens. S’attaquer à une réadaptation de ce dessin animé devenu classique présentait un sacré défi, une pression psychologique non négligeable pour le réalisateur. C’est pourquoi, sans doute, Jon Favreau s’est-il contenté, pour cette nouvelle mouture en prises de vues réelles, de tout refaire à l’identique, plan par plan, jusque dans les répliques et dans les chansons (moins bien interprétées, pour le coup, que dans le film d’origine – en tout cas, pour la version française).
La prise de risque, par conséquent, est inexistante, le nouveau film n’apporte rien au précédent. Inventivité zéro. Le travail visuel est, certes, époustouflant, mais la technique employée n’atteint jamais le charme d’un bon vieux dessin animé des années 90 en deux dimensions.
Pas déplaisant, cependant, ce Roi lion nouvelle génération remplira son rôle de film familial de l’été.
3 étoiles sur 5
Pierre Marcellesi – Boulevard Voltaire