Nous sommes 7 milliards sur terre. Cela représente autant de visages différents. Pour une personne souffrant de prosopagnosie, c’est un enfer.
Un prosopagnosique ne reconnaît pas ses propres enfants
Une personne prosopagnosique est une personne qui souffre d’un trouble de reconnaissance des visages. Cela veut dire qu’elle voit un visage comme un visage, mais qu’elle est incapable de l’identifier.
C’est comme si cette personne était entourée en permanence d’inconnus. Même en lui montrant des centaines de fois la photo d’une personne, elle ne parviendra pas à la reconnaître.
La reconnaissance des visages est une fonction complexe et fragile, étant donné qu’il s’agit à chaque fois d’identifier un item unique (à l’inverse des mots ou des objets). Cette fonction est sous-tendue par un réseau étendu d’aires cérébrales allant du lobe occipital jusqu’aux parties les plus antérieures du lobe temporal.
Au quotidien, lorsque je parle de prosopagnosie, les gens me rétorquent souvent : “C’est comme moi, je ne reconnais pas les personnes”. Il faut cependant distinguer les “vrais” prosopagnosiques des personnes peu physionomistes.
Une personne prosopagnosique ne reconnaît même pas son conjoint ou ses propres enfants s’il les croise au supermarché. Alors qu’une personne peu physionomiste va peut-être avoir du mal à reconnaître une personne qu’elle n’a croisé que quelque fois dans sa vie, mais elle reconnaîtra bien ses proches.
Une maladie qui peut avoir deux causes
Deux types de personnes souffrent de cette maladie.
D’un côté, cela peut arriver aux personnes victimes de lésions cérébrales, suite à un traumatisme crânien, un accident vasculaire cérébral ou encore une opération chirurgicale au cerveau. Le trouble apparaît suite à la lésion d’aires cérébrales essentielles dans la reconnaissance des visages.
D’autre part, il y a des personnes qui, dès l’enfance, développent une mauvaise capacité de reconnaissance des visages. Cela peut aussi être lié à un problème pendant l’accouchement ou la prime enfance, on parlera alors de prosopagnosie développementale.
Mais un mauvais développement de la reconnaissance des visages peut également apparaître dans le contexte d’une transmission génétique, on parle alors de prosopagnosie congénitale. Il s’agit de familles dans lesquelles tout le monde éprouve d’importantes difficultés pour reconnaître les visages.
Dans ce contexte développemental ou congénital, la prosopagnosie peut être comparée à la dyslexie, la dyspraxie ou encore la dyscalculie, et constitue un réel handicap chez ceux qui en souffrent.
Certains métiers leurs sont interdits
La prosopagnosie entraîne des conséquences sévères au quotidien. Outre le mal-être de ne pouvoir reconnaître les gens qu’on connaît, les choix professionnels des prosopagnosiques sont limités.
Ils ne peuvent pas exercer certains métiers qui exigent une reconnaissance des visages, comme dans les métiers de la sécurité (un prosopagnosique serait incapable de vérifier les papiers d’identité d’une personne, par exemple dans un aéroport). Il leur est également difficile de travailler dans la restauration, ne pouvant pas reconnaître les clients.
On ne s’en rend même plus compte au quotidien lorsqu’on ne souffre pas de ce trouble, mais ne pas reconnaître les visages est un réel handicap social au quotidien.
Etre attentif à la voix et aux détails
Une des questions qui revient le plus souvent face à tout ça, c’est : que faire pour aider les personnes qui en sont atteintes ? En vérité, c’est très compliqué.
Les programmes de rééducation sont assez limités. Cela est dû au fait que chaque visage est unique, ce n’est pas comme lire un livre ou écrire. On ne peut pas entraîner une procédure globale, il s’agit de retenir chaque item individuellement.
Et lorsque les régions cérébrales nécessaires à cette fonction sont endommagées ou dysfonctionnent, il est impossible d’envisager un retour à la normale. Il faut alors trouver d’autres solutions.
Par exemple, les prosopagnosiques se servent fréquemment du son de la voix pour reconnaître les gens. Ou encore ils se focalisent sur des détails : une cicatrice, une coiffure, des accessoires… Bref, les prosopagnosiques retiennent des indices périphériques et ne se focalisent pas sur le visage dans son ensemble.
Cela est dû au fait qu’ils ne peuvent pas intégrer toutes les informations du visage dans une configuration globale. Ils n’ont accès qu’aux détails et doivent se baser sur ces détails pour reconnaître les personnes. Cela explique qu’ils développeront en général une très bonne reconnaissance des voix et une attention au détail (j’ai connu une patiente qui reconnaissait les gens à leur manteau, à leur voiture ou encore à leur chien).
Je ne dirais pas pour autant que les prosopagnosiques sont plus sensibles ou plus attentifs aux autres. En général, ils sont très gênés par leur handicap et ils ne vont pas facilement vers les autres. Même s’ils sont attentifs à ce que la personne va dire, ils ont rarement la certitude de savoir vraiment qui est en face d’eux.
Un trouble difficilement accepté, pour trois raisons
La prosopagnosie reste aujourd’hui un trouble encore difficilement accepté. Quand on est incapable de reconnaître un visage, la personne non reconnue se montre en général sceptique et peu indulgente. Je pense que c’est dû à trois raisons :
1. La prosopagnosie est un trouble peu connu. Les gens ne savent pas de quoi il s’agit : on parle beaucoup des troubles de la mémoire mais rarement de ceux touchant spécifiquement les visages.
2. C’est un handicap invisible. Quand quelqu’un bégaie ou inverse les mots, on l’entend, on le remarque tout de suite. Alors que quelqu’un qui ne reconnaît pas notre visage, ça ne se voit pas, c’est plus difficile à déceler. Les gens peuvent le prendre mal, ils pensent que la personne est hautaine et ils se vexent.
3. C’est très difficile également pour les personnes qui en souffrent car il n’y a pas de normes pour la prosopagnosie. A l’école, on nous apprend à lire, à écrire, à compter et on passe des tests pour savoir où se situent nos capacités. Mais jamais on ne teste nos capacités à reconnaître les visages. Les personnes qui ont ce trouble suite à un accident savent que ce n’est pas normal car elles voient bien qu’avant elles pouvaient reconnaître les personnes mais que ce n’est plus le cas. Alors que les personnes souffrant de ce trouble depuis la naissance ne savent pas où se situent la norme. Elles peuvent penser que tout le monde est dans le même cas et éprouve des difficultés avec les visages, tout comme elles.
C’est probablement cette conjonction de raisons qui fait de la non reconnaissance des visages un trouble encore largement non reconnu.