Le père de Tintin fut le plus casanier des Bruxellois, mais son héros a parcouru le monde entier, et jusqu’à la lune. Et du même coup, Hergé a fait rêver et voyager des générations d’enfants, de 7 à 77 ans. Et il continue.
Hergé fut un voyageur immobile : né à Bruxelles, mort à Bruxelles, il n’a guère voyagé que pendant ses années de scoutisme, auxquelles il faut ajouter, sur le tard, et dans un strict cadre touristique, des séjours à l’étranger, notamment à Taïwan. Sa vie fut le contraire d’une aventure, et il ne lui est jamais rien arrivé d’extraordinaire. « Hergé n’était certes pas à la hauteur de son héros », constate l’un de ses plus fameux biographes, Pierre Assouline. Sa vie, il l’a passée, tout entière ou presque, derrière sa planche à dessin.
Georges Remi est né le 22 mai 1907, de parents appartenant à la petite bourgeoisie catholique. Il fait ses études au collège Saint-Boniface, et intègre la troupe des scouts rattachée à l’établissement scolaire. Le jeune Georges, baptisé « renard curieux », chez les scouts, se prend de passion pour cette activité. Le système de valeurs du scoutisme va désormais imprégner toute son existence. Le scoutisme, c’est une morale exigeante, c’est le respect de la parole donnée, l’esprit chevaleresque, le culte de l’amitié et de l’entraide. Mais c’est aussi l’engagement physique, et, pour notre jeune homme, la possibilité de sortir d’un cocon familial somme toute assez gris.
L’un des grands mérites du scoutisme, c’est qu’il confie très tôt à des enfants, des adolescents, des responsabilités habituellement dévolues à des adultes. Certes cela se passe dans des camps, au sein de patrouilles, qui ne reproduisent pas exactement l’univers adulte. Mais il n’empêche que les responsabilités, elles, sont bien là. Et, par exemple, dès que les talents de dessinateur du jeune Georges ont été identifiés, le voici qui se trouve mis à contribution pour illustrer les revues scoutes. Son premier dessin, signé G. Remi, est publié dans Le Boy-Scout (qui deviendra Le Boy-Scout belge) en 1922. Georges n’a que 15 ans. Sa collaboration va y devenir systématique. A 17 ans, il signe pour la première fois R.G., ses initiales inversées, avant de l’écrire phonétiquement : Hergé. De 1926 à 1929, il publie dans cette revue une bande dessinée : Les Aventures de Totor, C.P. des hannetons. C.P. signifie : « chef de patrouille », en langage scout. Dans cette histoire, Totor se rend chez un oncle, au Texas, puis se retrouve chez les Indiens. Il y a là l’ébauche de l’aventure que l’on trouvera plus tard dans Tintin en Amérique.
Depuis 1925, Georges Remi, qui a plus ou moins fini ses études, est employé au quotidien catholique Le Vingtième Siècle. Ce journal est dirigé par un abbé, l’abbé Norbert Wallez, un personnage haut en couleur.
Imaginez un curé taillé en joueur de rugby. C’est presque un géant, cet abbé ! Plus grand qu’Hergé, qui était pourtant très grand. L’abbé est un extraverti, un bon vivant, jovial, au rire sonore et communicatif. A cette époque, il a une quarantaine d’années, et un enthousiasme sans faille.
Prêtre de choc
Né en 1882 dans la province belge du Hainaut, l’abbé Wallez professe des convictions fortes : patriote, nationaliste, conservateur, peu adepte de la démocratie parlementaire et ennemi de la franc-maçonnerie. Mais au fond il ne se distingue guère, à l’époque, des bons pères français qui dirigent La Croix ou Le Pèlerin.
Pendant la guerre de 14, il a été brancardier sur le front, et il commence à écrire des articles dans le quotidien catholique Le Vingtième Siècle à partir de 1916. Notre abbé entretient des échanges épistolaires avec les journalistes français Léon Daudet (le fils d’Alphonse), et Charles Maurras. Il a rencontré Mussolini en 1923 et possède, dans son bureau, le portrait dédicacé du Duce. La même année, l’abbé Wallez lance une campagne d’opinion pour l’autonomie de la Rhénanie. Son objectif est d’affaiblir l’Allemagne renaissante en détachant cette région catholique de l’influence protestante et prussienne.
En 1924, ce prêtre de choc, auteur de plusieurs livres remarqués sur des questions que l’on qualifierait aujourd’hui de géopolitiques, et sur l’économie, est nommé à la direction du Vingtième Siècle, qui est sur le point de disparaître. C’est alors une vraie résurrection, et un sacré coup de jeune pour ce journal quotidien qui avait été créé trente ans auparavant par quelques hommes politiques, membres du parti catholique, parmi lesquels Charles de Broqueville, et Fernand Neuray. Depuis la fin de la guerre et le lancement par Fernand Neuray de son propre quotidien, La Nation belge, Le Vingtième Siècle végétait.
Francis Bergeron – Présent