C’est un peu comme si les obsédés du réchauffement climatique avaient avalé un thermomètre de traviole. Sonnant le tocsin médiatique depuis des lustres contre la prochaine submersion aquatique de nations entières, ils découvrent un beau matin de novembre 2013 l’apparition d’une île ! Le beau bébé plein de lave et sans bavoir a émergé du placenta océanique à 1.000 bornes au sud de Tokyo.
Au début, la nouvelle a fait gentiment le buzz sur Youtube et s’est offert deux phrases dans la bouche de Claire Chazal. Faire-part pour tout le monde, banquet pour personne. À part de vieux géographes poussiéreux et radoteurs, l’apparition n’excitait guère une planète bien occupée.
Seulement, le Bébé-île a une faim de poulpe géant : on apprend ces jours-ci qu’il vient d’avaler sa proche voisine Nishinoshima ! Pas de panique les Bisounours, il n’y avait pas âme qui glande sur l’autre confetti rocheux. Donc pas de deuil national en perspective ni cérémonie aux Invalides.
Aux premiers temps de sa brève chronologie, peu après le Big-bang qui accoucha de l’entité, l’île vorace mesurait à peine quatre terrains de football. Huit mois plus tard, après sa fusion, les cartographes ont du revoir leur plan : l’ensemble, baptisé au Japon “nouvelle île Nishino”, mesure 1.350 mètres du nord au sud et 1.550 mètres d’est en ouest. Le Vatican et même Monaco sont derrière au classement !
Si le bougre avait vécu jusqu’à nous par je ne sais quel potion miracle, David W. Griffith (1875-1948) aurait pu en faire un juteux doc noir et blanc : « Naissance d’une nation, 2 ». De son côté, l’ami Hergé passerait presque pour un Nostradamus de la ligne claire puisque son « Etoile Mystérieuse » narrait la subite apparition d’une île dans l’océan. Sur le morceau de terre où débarqua Tintin, poussaient d’hallucinants champignons explosifs. Sur l’île pour l’instant attribuée au Japon, la virginité à l’état pur. Pas de frontières, pas de manifs, pas de gaz lacrymo, ni de hausse du chômage.
Si l’animal géographique venait, par un quelconque coup de folie à continuer sa croissance, qu’adviendrait-il ? La belle extension terrestre ne finirait-elle pas par attirer des peuplades issues de zones humaines boursouflées ? Y organiserait-on une immigration de masse ? À part d’éventuels choux-fleurs sauvages ou des basaltes assoupis, aucun lézard de souche n’y trouverait à redire.
Les années passeraient, et l’agrandissement continu du territoire flanquerait la frousse aux chancelleries. La question de l’appartenance se poserait, du rattachement abusif à l’état nippon aussi. D’autant plus qu’on finirait bien par y débusquer un minerai fabuleux ou un cadeau empoisonné dans le genre. Les nijiimiens dessineraient soudain leur drapeau : un volcan stylisé sur fond rouge, un hymne serait bricolé voire une religion, et on se hâterait d’inscrire onze clampins à la FIFA pour la coupe du monde 2038. La nature va t-elle laisser faire ça ?