Journaliste et historien, travaillant aussi dans le monde de la communication, Christophe Dickès a été le maître d’œuvre d’un ouvrage à la fois passionnant et foisonnant, le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège, paru chez Laffont dans la célèbre collection « Bouquins ».
— Christophe Dickès, comment vous est venue cette idée de Dictionnaire du Vatican ?
— Les grandes idées naissent toujours autour d’une bonne table. C’est le cas du Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège. Je déjeunais avec Jean-Luc Barré, des éditions Robert Laffont, après avoir publié chez cet éditeur une anthologie de textes de l’historien Jacques Bainville. Jean-Luc m’a demandé quels étaient, en dehors de Bainville, mes sujets de prédilection. Or, depuis plusieurs années, j’amassais une documentation sur la politique étrangère du Saint-Siège, sur laquelle je souhaitais écrire un essai. Jean-Luc m’a donc proposé de diriger un dictionnaire historique sur le Vatican contemporain, de 1870 à nos jours.
— Sans jeu de mots, cet ouvrage représente le fruit d’un « travail de Romain ». Combien de contributions rassemblez-vous ? Construites par combien d’auteurs ? Choisis selon quels critères ?
— Le Dictionnaire est composé de plus de 500 notices alphabétiques, d’« abdication » à « zouaves pontificaux », écrites par quarante-six auteurs : des historiens mais aussi des juristes, des journalistes, deux théologiens, etc. Le directeur des ressources humaines d’une société internationale a même accepté d’étudier la population si particulière des employés du Vatican. Par ailleurs, comme il est assez difficile de trouver des spécialistes, j’ai dû faire appel aussi à des historiens étrangers : américains, portugais, espagnols et naturellement italiens.
— Cet ouvrage, qui permet au lecteur de découvrir un monde un peu à part, donne, non pas « une vision médiatique ou littéraire », mais « une vision historique et critique ». Effectivement, on y trouve avant tout des faits (touchant l’histoire, l’architecture, la vie des papes, etc.), mais aussi des analyses, et ceci dès l’introduction, par exemple sur les ressorts de l’ignorance religieuse et le caractère frappé d’immédiateté du monde des médias. Qu’avez-vous voulu fournir à vos lecteurs ?
— Une vision à la fois globale et précise de la réalité vaticane : qu’est-ce que l’Etat du Vatican ? Qui y vit, des enfants de chœur au Secrétaire d’Etat ? Comment est-on citoyen de la Cité ? Quelle est la vie quotidienne de la Cité ? Naturellement, le pape est au centre du dictionnaire : quels sont les symboles de son pouvoir ? Comment se sont passées les élections des papes du XXe siècle ? Mais j’ai aussi souhaité présenter la politique du Saint-Siège dans le monde, ce que fut et ce qu’est sa relation au monde et sa place dans les grands événements de l’histoire de 1870 à nos jours. Sa relation aussi avec les idéologies (communisme, nazisme, libéralisme, etc.), avec les Etats, les continents (France, Allemagne, Autriche, Espagne, Afrique, etc.). Il s’agit d’un aspect totalement inédit qui permet à tout à chacun de comprendre pourquoi le Saint-Siège possède un des plus grands réseaux diplomatiques au monde.
— Peut-on dire que ce dictionnaire a été conçu dans une vision « ratzingérienne » ? Cela ne le rend-il pas obsolète ?
— Non, je ne pense pas. Certes, ma longue introduction a été rédigée sous le pontificat de Benoît XVI et terminée sous François, et j’ai souhaité effectivement lui donner cette tonalité. Mais les contributeurs sont d’origines très diverses et traitent eux-mêmes de sujets très variés. Le pontificat de Léon XIII, celui de Pie XI, la Grande Guerre, le rôle joué par Jean XXIII pendant la crise de Cuba, etc. sont des « moments » de l’histoire de l’Eglise qui n’ont rien de ratzingériens.
— Vous posez des questions concernant le pape François, vous demandant par exemple si, lui qui a été élu pour remettre de l’ordre dans la curie, il est bien sur ce chemin, ou s’il va s’agir d’un pontificat de rupture. Avez-vous déjà des éléments de réponse ?
— Il est extrêmement difficile de répondre à cette question. Certes, le pape réalise un travail de fond dans la curie mais nous sommes loin d’en voir les résultats à ce jour. Il est d’ailleurs beaucoup trop tôt pour le dire. Il faut aussi rappeler qu’en cent ans, l’Eglise en est à sa quatrième réforme de la curie… Cela relativise son action. En revanche, je considère que François est un pape paradoxal : il parle de collégialité et de subsidiarité alors qu’il ne cesse de « revêtir » les habits du monarque. On le considérait comme un Jean XXIII alors qu’il est, à mon sens, plus proche d’un Pie XI car il gouverne d’une main de fer.
— Je ne veux pas entacher une réputation de sérieux bien méritée mais on trouve, à côté d’entrées « classiques » comme : « excommunication », « catholicisme libéral », « liberté religieuse », « garde suisse », « index », « indulgences », que sais-je… d’autres moins attendues, qui font partie du charme de l’ouvrage, comme « bande dessinée et Vatican contemporain », « mort des papes », « littérature et papauté », « marine pontificale » ou « filmothèque du Vatican ». C’est un choix délibéré que cette riche variété ?
— Oui, c’est l’esprit de la collection « Bouquins » dans laquelle est publié le dictionnaire. A côté de sujets très académiques, j’ai souhaité ajouter des entrées plus légères ou attisant la curiosité. Mais, voyez-vous, la bande dessinée est un sujet très sérieux malgré tout : dans un manga (BD japonaise) par exemple, le pape apparaît comme la dernière force morale sur cette terre face à la corruption des élites… Et ne dites surtout pas que la marine pontificale est un sujet secondaire, car vous insulteriez les descendants de ceux qui ont gagné la bataille de Lépante ! Vous apprendrez aussi que Pie XI souhaitait faire construire un aéroport dans les jardins du Vatican. On lui répondit que c’était une chose impossible à moins de détruire le dôme de la basilique Saint-Pierre.
Propos recueillis par Anne Le Pape
Lu dans Présent