Ayant perdu très jeune son père et sa mère, John Ronald Reuel Tolkien est rapidement pris en charge par le père Francis Morgan, un ami proche de sa famille. Au début des années 1900, alors que ce dernier l’installe chez une tante par alliance où il fait la connaissance d’Edith, l’amour de sa vie, Tolkien poursuit ses études à la King Edward’s School et y fonde un club secret, le « Tea Club, Barrovian Society » (« TCBS »), avec ses amis Robert Gilson, Christopher Wiseman et Geoffrey Smith.
Idéalistes, passionnés, les quatre garçons s’encouragent mutuellement à développer leurs talents poétiques afin de s’ouvrir au monde, et à devenir de vrais gentlemen. Du moins, selon les critères encore en vogue à l’époque : passion, retenue, honneur, courage, élégance et fraternité ; l’excellence britannique même qui fit jadis le rayonnement de l’Angleterre.
Sans grande surprise, le quatuor s’engagera spontanément, sans plus d’état d’âme et par fidélité sans faille à leur pays – un patriotisme que ne blâme jamais le cinéaste, c’est assez rare pour être noté –, dans le premier conflit mondial duquel certains, hélas, ne reviendrons pas.
De toutes ces expériences plus ou moins heureuses, le réalisateur Dome Karukoski perçoit les jalons de ce qui fondera un jour l’œuvre poétique de Tolkien. Par petites touches, son récit est émaillé de motifs qui évoquent directement Le Seigneur des anneaux, qu’il s’agisse des quatre jeunes innocents engagés dans une guerre qui les dépasse (on pense, évidemment, aux Hobbits), ou la violence des combats du front dont l’esthétique filmique nous rappelle les passages guerriers opposant les héros de la saga aux créatures imaginées par Tolkien.
Et si le cinéaste s’attache principalement aux événements de la vie de l’auteur, il n’en délaisse pas pour autant ses mondes intérieurs et revient avec intérêt sur l’engouement du jeune homme pour la philologie, et plus précisément pour le finnois et le norrois issu des pays scandinaves. Deux langues dont s’inspira Tolkien pour créer le dialecte imaginaire de ses écrits.
Avec un casting judicieux mené par Nicholas Hoult, enrichi de surcroît par la présence de Derek Jacobi et de Colm Meaney, une image magnifique aux tonalités automnales et une bande originale qui cultive le mystère, le film de Karukoski allie la forme au fond et propose quelques pistes intéressantes sur les inspirations profondes qui conduisirent Tolkien à vouloir renouveler à sa manière le récit homérique aux valeurs traditionnelles et patriotiques. Valeurs imprégnées de stoïcisme antique et qui – l’auteur l’a parfaitement compris – furent autrefois au cœur même de l’imaginaire occidental, de La Chanson de Roland (et son émule la légende arthurienne) jusqu’au classicisme français. En cela, Tolkien, en tant qu’auteur, devrait logiquement susciter l’intérêt de cette jeunesse souhaitant aujourd’hui retrouver ses traditions.
Le film de Dome Karukoski nous offrira donc une première approche stimulante du personnage.
4 étoiles sur 5
Pierre Marcellesi – Boulevard voltaire