Où se sont déroulés les débuts de l’islam?
Quelles traces historiques, littéraires et archéologiques possède-t-on?
Sous quelle forme les premiers corans existaient-ils?
Comment LE Coran s’est-il cristallisé?
Les recherches se développent sur tous ces sujets, et tendent à montrer une réalité tout autre que celle des textes religieux.
Entretien avec Alain Jean-Mairet, rédacteur et traducteur indépendant, intéressé très tôt par l’islam et le Coran. Entre 2004 et 2008, il a créé et animé un site passionnant contre cette religion qui s’implante dans nos sociétés. Il suit toujours cette thématique… de plus en plus convaincu que les textes fondateurs de l’islam ne sont que des fables.
– Y a-t-il beaucoup d’historiens qui ne croient pas à ce que vous appelez «la fable de Mahomet»?
Aucun historien, même musulman, n’y a cru sans réserve, mais presque tous s’en sont servis, car il n’y a rien d’autre. On trouve des masses de récits, mais rien de concret pour les vérifier. Très peu de chercheurs concluent que tout est faux. Mais l’étude scientifique du matériel musulman est encore toute jeune. Elle date des orientalistes du XIXe siècle. Et aujourd’hui, un historien canadien, Dan Gibson, montre que la part de fable est certainement bien supérieure à la part de vérité historique.
– Qui régnait dans la région au début de l’islam?
A ce sujet, Dan Gibson rappelle qu’à partir de 300 av. J.-C., les Nabatéens avaient créé un petit empire admirable. Ils faisaient notamment le commerce de l’encens, entre le Yémen, où il était produit, et le nord de l’Arabie. Pour éviter les étapes traditionnelles et leurs taxes, ils ont disséminé dans le désert des systèmes de captation des eaux et des bassins souterrains, cachés. Ils ont aussi mis au point des systèmes ingénieux et originaux pour calculer la latitude et la longitude. Ils étaient nomades, mais pour optimiser la vente de leur cargaison au nord, certains sont restés sur place et ont bâti des entrepôts, protégés. Ils veillaient ainsi à maintenir une forte demande. L’encens était très prisé dans tout l’empire romain. C’était aussi un médicament.
La logistique des Nabatéens leur permettait d’obtenir d’excellents résultats, ils sont devenus les rois du désert. Ils ont alors bâti une ville restée légendaire: Pétra, aujourd’hui en Jordanie. Avec un excellent système d’irrigation, des jardins, des vignes, des troupeaux, et beaucoup de gens, sans doute 20.000 habitants. Certains disent jusqu’à 40.000. C’était aussi un important centre de pèlerinage, païen.
– Mais quel lien entre les Nabatéens et l’islam?
Eh bien, bizarrement, dans la masse de récits musulmans connus, il n’est jamais question de Pétra, pourtant si célèbre. L’islam serait né à La Mecque, un carrefour des routes de caravanes. Mais à l’époque, La Mecque n’existait pour ainsi dire pas. Les premiers vestiges archéologiques et sa simple mention sur une carte géographique datent de 900. D’autre part, les descriptions de La Mecque dans la tradition sont emplies d’incohérences. Les indications géologiques, géographiques et archéologiques ne correspondent pas à la réalité de La Mecque, mais, et c’est la découverte extraordinaire de Gibson, tout cela «colle» parfaitement à Pétra!
– Comment le démontre-t-il?
Outre les éléments de preuve littéraires et historiques, Gibson a découvert que jusqu’en 725, toutes les mosquées omeyyades dont on retrouve des vestiges clairs pointaient vers Pétra. Puis elles ont pointé dans plusieurs directions: Pétra, La Mecque et une direction parallèle à la ligne Pétra–La Mecque. Celles des Abbassides, à partir de 750, visaient toutes La Mecque. Et la qibla était définitivement fixée à La Mecque dès le IXe siècle. Gibson pense que la première Kaaba et sa pierre noire étaient à Pétra. Cette ville a hélas dû être abandonnée successivement à la suite de séismes (en 363, 419, 551 et 747). Il estime que le sanctuaire peut avoir été déménagé à la fin du VIIe siècle, période à laquelle nous sommes censés savoir que la Kaaba de La Mecque aurait été détruite puis reconstruite.
– Qu’était Médine au temps de l’existence supposée du prophète?
Yatrib (Médine), pour autant qu’on puisse le savoir, était une simple oasis, pas un grand centre.
Des juifs y vivaient-ils par milliers comme en témoigne le Coran ?
Ce n’est qu’une fable. Ils sont censés avoir pris une pâtée terrible, mais on n’en a aucune trace. Selon la Sira, il y avait là trois grandes tribus juives, dont deux auraient été chassées et la troisième exterminée par les musulmans. Or, on n’a aucune chronique, aucune correspondance, aucune note, rien. Les juifs n’auraient pas ignoré des choses pareilles!
– L’existence de Mahomet lui-même pourrait-elle être une invention?
On n’en a aucune trace datant de l’époque des faits jusqu’à deux ans après sa mort supposée. Il semble que personne, alors, n’ait parlé de lui. Dans le Coran, il n’y a que quatre mentions de ce nom. Et ce pourraient être des personnes différentes ou un simple titre. Mohamad signifie «digne d’éloge».
La première pièce de monnaie portant ce nom date de 685 – les Arabes ont même utilisé des monnaies portant une croix chrétienne pendant des décennies. S’il a existé, il est sans doute né à Pétra. Mais on ne voit guère pourquoi on n’en aurait aucune trace. Il me semble donc plausible que ce personnage soit une sorte d’ami imaginaire des Arabes de l’époque.
Le Coran ou les corans, de quand datent-ils?
Les premiers sont de la fin du VIIe siècle. Il y a des fragments plus anciens, mais disparates, qui ne forment pas un livre. Il y a notamment les manuscrits de Sanaa, dont la teneur est encore incertaine. Comment se serait-il constitué?
La doxa musulmane nous dit que le troisième calife, Othman, en a fait une recension définitive en 656, avec quatre à sept copies, et a détruit le reste du matériel. On connaît aujourd’hui une demi-douzaine de corans présentés comme l’authentique Coran d’Othman, notamment au Caire, à Istanbul, à Tachkent. Mais ce sont des faux – même les paléographes musulmans admettent qu’ils ne datent pas d’Othman. Tout indique que lors des premières conquêtes arabes, il n’y avait pas de Coran écrit. Les premières versions complètes n’apparaissent qu’aux VIIIe et surtout IXe siècle, sous les Abbassides. Selon toute probabilité, il s’agit d’un agglomérat de textes épars, rassemblés et adaptés pour convenir à ce que les dirigeants de l’époque souhaitaient faire savoir.
Et les hadiths?
Les grandes collections de hadiths datent de 200 à 300 ans, voire plus, après les faits qu’ils décrivent. Et plus le temps passait, plus ils étaient précis et meilleurs étaient leurs isnads, leurs chaînes de transmission. Ce qui est extrêmement suspect. Leur grande variété permet aux écoles juridiques de l’islam de cimenter leurs différences. Tout le monde admet qu’une partie a été inventée. Les principaux auteurs des collections, Bukhari et Muslim, avancent même n’avoir jugé valables que quelques pour cent des anecdotes collectées. Ce sont simplement des fables, basées sur le Coran et qui reflètent les luttes d’influence de diverses époques.
Peut-on croire la première biographie de Mahomet, la Sira?
On doit aussi la Sira aux Abbassides. L’auteur, Ibn Ishaq, aurait été mandaté par Al-Mansûr dans les années 750-760. Le Coran existait déjà en partie, et quand on lit les deux, on a vite l’impression que la Sira est là pour expliquer le Coran, pour lui donner un sens précis. La Sira est un livre de contes… et de comptes – elle est pleine de listes de noms: des gens qui côtoyaient le prophète, qui l’ont cru, l’ont aidé, ont participé aux expéditions. Et ceux qui portaient ces noms à l’époque d’Ibn Ishaq en tiraient du prestige, de l’influence politique, voire des droits monnayables. Tout cela passionnait les lettrés et les puissants. Mais au fond, je pense que ce qui a fait l’attrait de cette nouvelle religion pour les gens, c’était le retour à un monothéisme pur, unitaire, contre les dogmes de l’époque, notamment trinitaires, liés à des empires sur le déclin. C’est à ces grandes idées que l’islam a dû son succès initial, et ses textes dits fondateurs ont simplement servi à organiser et entériner le résultat de cette évolution.