Les tentatives de suicide chez l’adolescent augmentent régulièrement en nombre; elles révèlent toujours la coexistence de facteurs événementiels, familiaux et sociaux, psychiatriques et psychopathologiques importants. Leurs fonctions sont intriquées et multiples, à la fois expression de désir de mort et désir d’une vie autre.
Chez l’adolescent, le passage à l’acte suicidaire traduit généralement des perturbations précoces survenues dans le développement de sa personnalité, et révélées par la puberté : son geste doit alors être considéré dans une problématique d’autonomie.
L’importance du suicide en Santé Publique est attestée par la fréquence des décès qu’il induit chaque année, particulièrement parmi les adolescents et les adultes jeunes. Les chiffres sont éloquents : on a recensé en France 220.000 tentatives de suicide en 2013. Celles-ci ont entraîné environ 10.500 décès, le suicide représentant la deuxième cause de mortalité (après les accidents de circulation) chez les 15-24 ans (16,3 % du total des décès).
Dans la pratique, rechercher et apprécier le risque suicidaire reste un exercice souvent difficile.
Définir des facteurs de risque, des facteurs “suicidogènes” intervenant dans le déterminisme des tentatives d’autolyse de l’adolescent, n’est pas chose aisée, et nécessite l’écoute attentive du praticien, ce dernier devant avant tout évaluer le risque suicidaire.
Les facteurs suicidogènes intervenant chez l’adolescent :
1. Les facteurs événementiels :
Dans quatre cas sur dix, des difficultés scolaires et des problèmes d’ordre sentimental sont invoqués. Plus rarement, les suicidants mettent en avant des raisons d’ordre existentiel.
Ils paraissent souvent constituer des rationalisations secondaires, conscientes ou inconscientes, pour le sujet et son entourage; mais ce qu’il importe de connaître, c’est la façon dont ces événements extérieurs, banaux en apparence, ont été vécus par le patient et reliés aux facteurs internes de sa personnalité, et ce afin de déterminer la conduite suicidaire. Il faut donc considérer les facteurs événementiels comme des facteurs “déclenchants”ou “favorisants”, mais non comme des causes de l’acte-suicide. Ils posent ainsi la question d’une particularité psychologique pré-existante chez les suicidants.
2. Les facteurs familiaux et sociaux :
a. Les facteurs familiaux :
Le jeune suicidant vit dans un contexte relationnel composé en premier lieu de sa famille, dont il est indissociable. Or, selon la quasi-totalité des auteurs, la situation familiale des suicidants est très particulière :
– leur rang dans la fratrie n’intervient pas, mais la dimension de la famille est un facteur jugé significatif : un suicidant sur deux appartient à une famille de quatre enfants ou plus.
– l’altération de la constellation familiale est très fréquente, marquée par une séparation et par l’absence d’un ou des deux parents, pour les motifs les plus divers (décès, longue maladie, abandon, divorce, …). Elle concerne un adolescent suicidant sur trois, voire même un sur deux.
– l’absence du père, absence réelle, absence affective ou absence éducative d’un père corporellement présent, est notée très souvent : la majorité des suicidants trouvent leur père “indifférent, hostile ou absent”, et jugent l’autorité paternelle excessive ou insuffisante.
– même si le sujet appartient à un milieu familial dit “normal”, il existe d’importantes perturbations des relations intra-familiales : les conflits ouverts sont très fréquents dans les relations parents-enfants, et les relations avec la fratrie sont le plus souvent inexistantes ou conflictuelles. Ainsi, au total, le jeune suicidant vit dans un climat familial peu gratifiant, où il ne parvient pas à trouver une image parentale acceptable à laquelle il puisse s’identifier et qui lui permette d’orienter ensuite ses investissements sociaux et affectifs.
– les antécédents pathologiques familiaux sont également significativement plus nombreux : si le déterminisme héréditaire n’est actuellement plus invoqué, on souligne en revanche que dans un cas sur deux les adolescents suicidants ont dans leur famille au moins un antécédent de suicide, de maladie mentale ou d’alcoolisme.
b. Les facteurs sociaux :
Diverses études épidémiologiques les ont précisés :
– la religion n’a pas d’influence sur le passage à l’acte.
– les adolescents suicidants ne se recrutent pas au sein d’un niveau socio-économique particulier.
– par contre, chez l’adolescent, l’importance du décalage socio-culturel entre le milieu social du suicidant (milieu scolaire, loisirs) et le milieu familial est un facteur déterminant.
– enfin, la vie sociale des jeunes suicidants est souvent marquée d’une part par des échecs scolaires et l’impossibilité de poursuivre un cursus normal, et d’autre part par un isolement : les jeunes suicidants, plus que les autres, n’appartiennent à aucun groupe ou s’intègrent avec difficulté à des groupes très restreints. C’est un facteur important, car il s’agit là d’un processus de socialisation indispensable : pour certains auteurs, il y a un rapport direct entre l’appartenance à une bande et la protection contre le suicide des jeunes adolescents.
3. Les facteurs psychiatriques :
La question souvent posée à propos des tentatives de suicide est de savoir si elles peuvent être expliquées par une pathologie mentale caractérisée. Dans la littérature, la proportion de tentatives d’autolyse attribuée à des troubles psychiatriques francs est très faible.
C’est la raison pour laquelle la majorité des cliniciens préfère à présent recourir à une compréhension globale de l’acte suicidaire chez l’adolescent, en tenant compte de ses spécificités, à la fois cliniques et évolutives.
L’objectif est donc bien ici de rester attentif. En matière de suicide, il existe une règle fondamentale qui consiste à prendre toutes les plaintes, menaces ou allusions au suicide très au sérieux. L’adage disant que celui qui en parle ne passe pas à l’acte est une vaste ineptie !
Il faut tenter un dialogue avec l’adolescent qui évoque le suicide. En d’autres termes : en parler ouvertement. Parler avec lui de son mal-être, de sa situation, pourquoi pas des moyens qu’il a planifiés pour passer à l’acte. Et bien entendu, ne pas hésiter à lui conseiller de consulter un professionnel (psychiatre, psychologue, médecin généraliste…) !