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La présence de l’enfant dans l’art s’aborde par des angles différents. Le musée de l’Orangerie avait donné en 2010 une exposition bien ficelée sur le thème des enfants modèles (au sens propre ; cf. Présent du 16 janvier 2010). Le musée Marmottan-Monet a choisi de s’intéresser au statut de l’enfant dans la peinture, du XIVe au XXe siècle. Dans une exposition thématique, presque didactique, le visiteur doit accepter de trouver des tableaux inférieurs ou laids qui illustrent la démonstration, et des généralisations qui seraient mises à mal par la présentation de tel ou tel autre tableau absent.
Pierre Auguste Renoir, Les Enfants de Martial Caillebotte. 1895, huile sur toile, 65 x 82 cm.
Collection particulière. © David Cueco
A l’Enfant Dieu présent dans l’art médiéval quasi exclusivement, s’ajoute bientôt l’enfant prince ou l’enfant roi, avenir de la lignée. L’émail de Léonard Limosin représente François II à l’âge de neuf ans (vers 1553). Il est vêtu comme un petit adulte, mais la fraîcheur de la technique employée est aussi celle de l’enfance. Un siècle plus tard, on suit la croissance de Louis XIV : encore poupon en costume d’apparat (toile anonyme), puis âgé de 12 ans et offrant couronne et sceptre à la Vierge (Philippe de Champaigne, vers 1650).
C’est encore une fillette en grande tenue que peint Pierre Mignard au début des années 1680 : Mademoiselle de Tours, cinquième enfant de Louis XIV et de Mme de Montespan. Mais la montre sur la table, l’éphémère bulle de savon que Louise-Marie vient de souffler indiquent que la mort est passée par là. Car il s’agit du portrait posthume d’une fillette morte à sept ans. Mignard a su traduire dans ce tableau la tendresse, la vie et le souvenir.
Les frères Le Nain
Face à ces aristocratiques représentations, les frères Le Nain regroupent des enfants des campagnes : les célèbres Enfants avec cage à oiseaux et un chat (musée de Karlsruhe), une belle version des Jeunes musiciens (musée Thyssen de Madrid). Leurs représentations d’enfants – attitudes justes et gravité, pauvre accoutrement et dignité – sont inégalées, si ce n’est au siècle suivant par Chardin. Son Enfant au toton (1738) est à la fois un portrait du fils du banquier Charles Godefroy et une image de l’enfance : le garçonnet a poussé ses livres et sa plume, préférant jouer quelques instants à la toupie pour se délasser de l’étude.
C’est peut-être au XIXe que l’enfant se catégorise le plus socialement dans la peinture : à l’enfant des campagnes s’oppose l’enfant des villes ; et, dans la ville, s’opposent le pauvre et le bourgeois.
L’enfant du peuple intéresse Daumier (Le Premier bain), et surtout Millet, peintre du monde paysan : L’Enfant au cerceau, et toute une série « éducative » : La Précaution maternelle, La Leçon de tricot, La Becquée… On sait combien Van Gogh a adoré Millet ; la technique de ce peintre paraît bien vieillotte aujourd’hui. L’enfant des rues est un thème rebattu des peintres réalistes et naturalistes ; le tableau peut être parfois sincère et dramatique (Le Marchand de violettes de Fernand Pelez), parfois plus pittoresque que social (Petit cireur de bottes à Londres de Bastien-Lepage).
L’enfant bourgeois, lui, est un des thèmes des peintres impressionnistes ou apparentés, qui appartiennent à ce milieu et dépeignent leur vie de famille, une vie de famille assez semblable à celle d’aujourd’hui (du moins avant l’irruption des jeux vidéo et des écrans) : les enfants lisent et jouent. La proximité affective de leur modèle et la technique qu’ils emploient donnent à ces « images » une beauté jamais défraîchie : Les Enfants de Martial Caillebotte (Renoir), Eugène Manet et sa fille dans le jardin de Bougival, Les Pâtés de sable (Berthe Morisot) – car l’enfant bourgeois fréquente les jardins et les squares, pas les rues.
S’attardera-t-on sur les Picasso, Dubuffet qui closent l’exposition ? On préférera rebrousser chemin pour retrouver chez les Le Nain, chez Chardin, les images de l’enfance les plus fortes et les plus durables.
L’art et l’enfant – chefs-d’œuvre de la peinture française. Jusqu’au 3 juillet 2016, musée Marmottan-Monet.
Samuel Martin – Présent
Illustration: Jean-Baptiste Siméon Chardin, L’Enfant au toton. 1738, huile sur toile, 67 x 76 cm. Paris, musée du Louvre, Département des Peintures.© Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais/Angèle Dequier