Jean Mabire, conteur des guerres et de la mer

Dans ses éphémérides (1), Alain de Benoist note, à la date du 8 février 1927, la naissance à Paris de l’écrivain normand Jean Mabire. Et au 29 mars 2006, il signale simplement que sa mort est intervenue à Saint-Malo. Si l’on croit à l’astrologie ou à ce genre de foutaise, on notera avec bonheur que Jules Verne, lui aussi, était né un 8 février, et avec tristesse que le chef vendéen Charette, que l’écrivain Dominique de Roux et que le compositeur Carl Orff, sont morts un 29 mars.

Jean Mabire, sous le signe de Jules Verne, de Charette, de Dominique de Roux, de Carl Orff ? Pourquoi pas, au fond ? Cet éclectisme refléterait assez bien les goûts variés et la curiosité intellectuelle, les talents divers de ce conteur des guerres et de la mer qu’était Jean Mabire.

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Mai 1994, Jean Mabire en conférence au Centre Charlier, reçu par Alain Sanders.
Photo Philippe Vilgier

Car Mabire ne fut pas le froid observateur, juge et comptable des guerres modernes. Ce que l’on attend, en principe, d’un écrivain militaire. Il était bien autre chose. D’abord, avec l’historien Eric Lefevre, il convient de remarquer que Mabire « voulait célébrer la grande aventure, les prouesses guerrières, sous n’importe quel drapeau ». Et en outre, comme le note Alain de Benoist, « pour Jean, l’expression littéraire était inséparable d’une esthétique qu’alimentait son talent d’illustrateur et de graphiste ». Mabire était passionné par les talents des autres et par leur esthétique de vie, quelle qu’elle soit. De ce point de vue là, un Driant, par exemple, soldat, écrivain, homme politique, pur héros de Verdun, représentait une sorte d’idéal absolu, l’homme complet, en quelque sorte, ayant tout réussi, sa vie comme sa mort (2).

« Sa bibliothèque recouvrait tous les murs de sa maison, y compris ceux de la cage d’escalier »

L’œuvre de Mabire comporte une centaine d’ouvrages. Et sa notoriété tient essentiellement à ceux de ses livres consacrés aux deux guerres mondiales, sous l’angle strictement militaire. Ce qui l’agaçait parfois. Car Mabire était aussi un écrivain de la mer, une autre de ses grandes passions. Et un écrivain de la Normandie. Passion sans doute encore supérieure aux deux autres.

Quant à ses écrits de critique littéraire, ils sont moins connus mais ils sont sans doute les plus importants. Sa fine connaissance des écrivains normands Jean de La Varende et Pierre Drieu la Rochelle ont donné lieu à des livres précieux et très utiles, au premier rang desquels il faut placer le rarissime Drieu parmi nous, paru en 1963 à La Table ronde, et le non moins excellent La Varende entre nous, Présence de la Varende, 2001. Alain de Benoist, dans le 27e tome du magazine des amis de Jean Mabire, écrit : « J’imagine qu’il y a des lecteurs qui ont découvert Drieu la Rochelle grâce à Jean Mabire, moi j’ai découvert Jean grâce à Drieu. C’était en 1963, et je n’avais pas encore vingt ans » (3).

Mabire, ce sont aussi quelques rares livres politiques, recueils de chroniques parues dans L’Esprit public ou dans Europe Action. Textes de circonstances mais régulièrement réédités, tout au moins pour ce qui est de L’Ecrivain, la politique, l’espérance. Dans ces écrivains, on retrouve l’engagement, les passions, le courage qui animaient l’homme et que reflètent ses ouvrages sur la guerre et sur la mer.

Mais, très paradoxalement, ce sont peut-être les neuf tomes de ses Que lire ? Portraits d’écrivains – trop insuffisamment diffusés, à ce jour – qui lui survivront, car ils représentent une mine d’informations, un exceptionnel travail de recension des écrivains qui, à leur époque et dans des contextes divers, ont transmis les valeurs auxquelles il était attaché, des valeurs que l’on pourrait résumer par le mot d’identité.

Mabire est un écrivain abondant, plus important par les thèmes abordés que par le style. Mais il ne faut pas oublier, chez Mabire, le lecteur et le transmetteur. Sa bibliothèque, à Saint-Servant, recouvrait tous les murs de sa maison, y compris ceux de la cage d’escalier.

Dans la revue Esprit public, une « bibliothèque de l’activiste » présentait la liste des livres que le militant, l’activiste – comme on disait, du temps de l’OAS –, se devait d’avoir lus. Qui avait dressé cette liste ? Mabire a reconnu, bien plus tard, qu’il en avait été l’auteur. Jules Monnerot, Von Salomon, Pierre Sergent, Raoul Girardet, Drieu La Rochelle ou Ernst Jünger en faisaient partie. Et bien des jeunes militants ont pris au pied de la lettre ces préconisations et ont entrepris de se procurer et de lire l’intégralité de cette sélection. Ce qui, au fond, n’était pas une si mauvaise idée.

Marcher, camper, chanter
L’aventure des Oiseaux migrateurs relève aussi de cette volonté de transmettre. En 1992, Mabire prête son concours à la création d’une association à vocation culturelle et sportive, les Oiseaux migrateurs, dont l’appellation était inspirée des Wondervögel du début du XXe siècle, mouvement sans prétention idéologique, que l’on pourrait rapprocher de nos Auberges de la Jeunesse des années trente. Marcher, camper, lire, chanter. Mabire n’est pas là pour en assurer la direction ou pour jouer les gourous.

« Nous ne changerons pas le monde, il ne faut pas se faire d’illusion, mais le monde ne nous changera pas. »
Il en sera de même avec deux autres organisations dont il fut le fer de lance : le « Mouvement Normand », cette association régionaliste militant pour la réunification des deux départements normands, ce qui a fini par se réaliser lors de la dernière réforme territoriale ; et les « Hautes Ecoles Populaires ». Sans oublier, au tout début des engagements de Mabire, la « Communauté de jeunesse ».

« Si nous profitions de son expérience, de son érudition et de son extraordinaire réseau d’amis toujours disposés à nous aider, témoignera plus tard l’un de ses jeunes compagnons d’aventures, il gardait délibérément une certaine distance avec les affaires courantes. Nous évoluions en complète autonomie. »

Et le message qu’il laisse à ceux qui l’ont lu, qui ont subi son influence, qui ont bénéficié – comme moi – de son amitié est le suivant, que j’ai fait mien à jamais : « Nous ne changerons pas le monde, il ne faut pas se faire d’illusion, mais le monde ne nous changera pas. »

Nous sommes loin du révolutionnaire que Mabire a parfois prétendu être, Dieu soit loué. Mais son influence n’en est pas moins énorme, car il a été et reste un conteur exceptionnel, un transmetteur de premier plan et, d’une certaine façon, un maître à vivre.

(1) Au fil du temps, les éphémérides d’Eléments, 502 p., éd. des Amis d’Alain de Benoist, 2015.

(2) Driant Danrit, par Jean Mabire, Ed. Le Polémarque, 2015.

(3) Association des Amis de Jean Mabire, 15 route de Breuilles, 17 330 Bernay-Saint-Martin.

Francis Bergeron – Présent

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