Les producteurs de camembert de Normandie AOP exigent que soit mis un terme à une tromperie qui fait passer un produit industriel pour un fromage de terroir. Périco Légasse* dénonce un scandale alimentaire.
FIGAROVOX. – De nombreux industriels utilisent la mention «fabriqué en Normandie» pour étiqueter leur camembert. Quelle différence avec l’appellation d’origine «camembert de Normandie»?
Périco LEGASSE. – Le camembert «fabriqué en Normandie» est un leurre grossier et sa non-interdiction est en train de virer au scandale alimentaire. Comme le dit la loi, le seul camembert à avoir le droit d’user du terme Normandie est le «camembert de Normandie» dont l’appellation d’origine protégée (AOP) certifie qu’il s’agit d’un fromage normand élaboré avec du lait provenant de Normandie, c’est-à-dire de vaches élevées et nourries sur des pâturages de la région normande. À l’inverse, le camembert «fabriqué en Normandie» n’est soumis à aucune norme, aucune règle, puisque cette mention interdite par la loi signifie seulement que le fromage a été fabriqué dans une usine située dans le département du Calvados ou de la Manche, mais en aucun cas que le lait utilisé provient de ce territoire. Ce subterfuge a pour but de faire croire au consommateur qu’il achète un fromage normand, ce qui est faux car le lait utilisé pour le fabriquer peut provenir de n’importe quelle région du monde. On peut en effet fabriquer du camembert générique avec du lait importé de Pologne, de Roumanie ou du Brésil.
Si seuls les camemberts d’appellation d’origine protégée ont le droit d’user du nom Normandie, en quoi la mention «fabriqué en Normandie» est-elle illégale?
Reconnu en fromage d’appellation d’origine contrôlée depuis le décret du 29 décembre 1986, puis celui du 18 septembre 2008, confirmés par le décret n°2013-1059 du 22 novembre 2013, signé par Jean-Marc Ayrault et Stéphane Le Foll, le «camembert de Normandie» est protégé par la loi. Seule l’AOP peut donc user du terme Normandie.(…)
Qu’y a-t-il de scandaleux dans cet usage illégal de dénomination?
Une volonté évidente de tromper le consommateur. Si les industriels veulent fabriquer du «camembert de Normandie», libre à eux de respecter le cahier des charges de l’AOP. C’est le cas des camemberts Gillot, Graindorge, Réaux, Jort, Moulin de Carel, Pré Saint Jean, Petite Normande ou Isigny-Sainte-Mère, dont le lait cru provient bien du terroir normand. Le problème est que ce lait-là est plus cher et qu’il ne doit en aucun cas être thermisé ou pasteurisé (afin de prolonger sa date limite de vente en grandes surfaces). Pour contourner l’obstacle, et continuer à bénéficier de l’image du nom Normandie sans en avoir les contraintes, certains industriels n’hésitent pas à user du subterfuge «fabriqué en Normandie» pour faire croire aux consommateurs néophytes que ce camembert est normand.(…)
Quels moyens ont les producteurs et les consommateurs pour faire bouger les choses? Les élus locaux sont-ils concernés?
Il appartient aussi aux élus locaux et aux parlementaires normands de se mobiliser et d’intervenir auprès de l’État pour préserver un patrimoine agricole menacé par le lobby laitier.
Tout doit être mis en œuvre, sur le plan associatif, médiatique et même politique, de la part des défenseurs de l’appellation d’origine, pour informer et protéger le consommateur, interpeller l’opinion et les pouvoirs publics afin que la loi soit respectée. (…)
Quelle serait la solution pour que le consommateur ne soit plus trompé, que les producteurs de camembert de Normandie ne soient plus lésés et que les industriels laitiers, dont les intérêts économiques ne sont pas négligeables, y trouvent leur compte?
Pourquoi n’useraient-ils pas de la formule «fabriqué dans le Calvados», «fabriqué dans la Manche» ou «fabriqué dans l’Orne» qui fait allusion à un territoire normand, mais sans violer l’AOP ?
Une fois disparu le «fabriqué en Normandie», auquel sont si attachés les industriels du fromage au lait pasteurisé de provenance indéfinie, pourquoi ceux-là n’useraient-ils pas de la formule «fabriqué dans le Calvados», «fabriqué dans la Manche» ou «fabriqué dans l’Orne» qui fait allusion à un territoire normand, mais sans violer l’AOP. En effet, l’indication du département, autre notion géographique, ne contrarie en rien l’appellation d’origine puisqu’elle n’abuse pas du nom protégé Normandie. Tout le monde pourrait cohabiter en bonne intelligence. Mais il y a pire, certains représentants du lobby laitier, avec le soutien de fonctionnaires égarés, ont même suggéré que l’AOP renonce au nom Normandie pour le laisser aux industriels (comme dit Lino Ventura dans les Tontons flingueurs: «Les c… ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît») en échange d’indications du genre «Pays d’Auge» ou «Cotentin»… Une telle forfaiture signerait évidemment l’arrêt de mort de toutes les AOP et c’est sans doute ce que recherchent à terme les industriels.
*Périco Légasse est rédacteur en chef de la rubrique vin et gastronomie à l’hebdomadaire Marianne.