On lit dans la presse à sensation : “Il l’aime, il lui fait des cadeaux, elle le quitte, il la tue !”
Une observation domine le contexte du crime passionnel, car on sait que le désir égoïste excite les passions et que la passion échauffe le sang et anéanti la réflexion. C’est cette puissance destructrice de la passion égoïste qui peut conduire au passage à l’acte criminel. C’est pourquoi la domination des passions et le désir égoïste avertissent les caractères faibles contre le danger du passage à l’acte criminel.
Car, si se comporter en criminel apparaît bien inutile à l’esprit du commun, le fait de pouvoir enfin agir, face au sentiment de mépris, d’annihilation et d’injustice subie, est ce qui retient le futur criminel “à un certain niveau d’existence morale”, selon un point de vue égoïste et “totalement amoral”.
Dans la dynamique psychologique qui prépare au crime passionnel, l’existence du futur criminel est devenue dépourvue de sens. Il ne voit plus, dans la souffrance égoïste de sa passion déçue, que l’attirance définitive pour nier l’aspect illogique de son existence vile. C’est pourquoi le désir égoïste veut “lui faire mal”.
C’est le désir de vengeance qui l’entraîne à vouloir affirmer son “inexistence morale” déficiente par une tentative d’annihilation de sa souffrance médiocre et subalterne, par la destruction de l’autre.
La justification du crime passionnel est qu’il nie la volonté de l’autre de vivre sans lui.
Sans le désir égoïste de domination et de sa passion faussée, le futur criminel cherche le chemin qui mène à l’annihilation de sa souffrance médiocre et même à la négation de la vie. Et pour cette seule raison, il prend en horreur tous les désirs qui provenaient auparavant de sa passion amoureuse égoïste.
C’est pourquoi sa passion égoïste se transforme tout naturellement en désir de se venger.
Il veut voir l’annihilation de sa passion devenue ennemie ! Le détachement impossible de la liaison amoureuse détermine les fausses valeurs de substitution du désir égoïste de vengeance. Rien n’est plus étranger au futur criminel passionnel que la véritable passion amoureuse altruiste. Sa passion, c’est le fanatisme du propriétaire dominant qui se transforme, tel un dieu vengeur, en vengeance du justicier.
Rien ne répugne plus à son instinct de propriétaire dominant que cette tension et que cette servitude morale de l’homme trahi. Le besoin d’apaiser cette tension domine le désir de vengeance dans la psychologie du crime passionnel. Sans une véritable passion amoureuse altruiste, cette forme de souffrance morale n’est plus sanctifiée par le pardon, ni par un sentiment de compassion ou même de charité.
De plus, le futur criminel trouve toujours son compte dans le sentiment d’humiliation et surtout dans l’apitoiement sur soi-même. Les récriminations médiocres du sentiment d’injustice subie alimentent toutes ses réprobations, anéanties seulement par le passage à l’acte criminel et non par une aide psychologique. La relation psychologique est inaccessible aux couches moralement inférieures de la passion criminelle.
L’idéal moral de justicier du futur criminel exige qu’il se détache de toute notion de bien et de mal.
Sa façon passionnelle de se placer au-delà de la morale naturelle doit atteindre sa perfection dans l’acte justicier. C’est pourquoi le passage à l’acte criminel est plus que jamais devenu nécessaire.
C’est le moyen de se détacher de cette passion amoureuse médiocre, quelle qu’elle soit.
On est parfois surpris d’apprendre que le criminel, un fois son crime commis, ne s’est pas enfui, mais qu’il s’est endormi sur le lieu de son crime, ou qu’il s’est mis à manger, comme si de rien n’était. Le besoin de sommeil est la conséquence de la fatigue, la fatigue morale, à la suite de la longue excitation excessive sur le plan moral, et la fatigue physique, à la suite des violences du passage à l’acte criminel. Le besoin de sommeil traduit, au point de vue psychologique, la satisfaction du justicier et l’épuisement de toute force morale.
Ce n’est que l’image d’un besoin de repos éternel, beaucoup plus profond et plus long…
En pratique, le risque de suicide est lié à l’idée de la mort qui exerce toujours sa misérable séduction.
Le type moral du justicier ambitionné explique pourquoi il veut se faire passer pour le “bras armé de la justice”. Sa justice supérieure doit régner sur toute l’humanité, même sur ceux qui croient pouvoir diriger leur propre destin librement. Cette justice supérieure doit se faire reconnaître pour intangible et inattaquable. Le type moral absolu du justicier a, pour lui, la force morale égoïste indéfectible de la justice toute-puissante.
C’est ce danger que la future victime et son entourage ont trop souvent tendance à sous-estimer.
Le point de vue moral du justicier est éclairé par le fait que lui seul “sait ce qu’il en est de la trahison”, que lui seul est vertueux, que lui seul aura, en fin de compte, la suprême maîtrise de la situation d’injustice.
Dans les couches moralement inférieures de la passion criminelle, lui seul veut se croire comme un dieu vengeur, car le sentiment d’humiliation le grandit lui-même, par sa vengeance divinisée.
Lui seul est l’intermédiaire entre la justice divine et les valeurs supérieures de la vengeance.
La vengeance châtie l’offense morale, par le passage à l’acte justicier, qui rétablit l’équilibre par le fait que la justice morale existe enfin. Il n’y a plus de place pour la trahison ni pour les mensonges.
Il n’y a qu’une possibilité d’accéder à la vérité : se faire justicier. Tout ce qui est juste dans l’ordre de sa passion médiocre, dans la nature même de sa passion égoïste, éclaire le verdict du justicier.
Le passage à l’acte criminel est une œuvre morale aboutie en tant que justicier. Pour corriger moralement le sentiment d’humiliation et d’injustice subie, la dynamique psychologique du crime passionnel est l’accomplissement des préceptes égoïstes d’une justice personnelle insensible, soi-disant supérieure.
Il n’y a pas d’autre source du bien et du juste dans sa mission de justicier. Pour lui, qui était l’humilié parmi les humiliés, toute autre issue à la crise est d’un rang inférieur à celle du justicier. Il s’apparente ainsi à la destinée noble du guerrier vengeur et du conquérant, lui qui était médiocre parmi les médiocres. C’est pourquoi, le justicier se conçoit comme le type de la noblesse morale et le bras armé d’une justice supérieure.
Le crime passionnel doit conduire à la reconnaissance de ses vertus méconnues, qui sont celles des médiocres qui ambitionnent des valeurs soi-disant humaines de vérité, de droit et de justice.
L’étude du passage à l’acte révèle “la victoire en forme de défaite” du justicier sur ses sens humiliés, sur sa passivité morale, sur I’impossibilité de faire reconnaître ses droits absolus, sur l’absence de justice des hommes, pour l’espèce d’homme la plus vile à laquelle il est apparenté.
Le justicier humilié a une seule morale narcissique, celle d’être considéré lui-même comme l’homme supérieur, celui qui a su faire face à la trahison et “régler dans le sang” une telle situation infamante.
Il n’imagine pas clairement que son crime odieux va le rendre encore plus méprisable. Par tous les moyens de sa morale faussée, il se construit “le cadre grandiose de la vérité du droit et de la justice”, qui se transforme en l’organisation extrême de la terreur, pour assouvir sa passion criminelle de justicier médiocre.
L’attitude du criminel est déterminée aussi par l’intuition de vouloir renverser la hiérarchie des valeurs morales, alors que sa position méprisable parmi les humiliés est toujours plus menacée et intenable. Il faut ici s’interroger sur les justifications morales que les justiciers sont tenus de s’inventer, sur les préceptes moraux faussés qui justifient les crimes passionnels, pour satisfaire et légitimer leur passion destructrice.
Il faut qu’ils inventent, sur le plan de la morale narcissique de justice, une fausse force de caractère et un simulacre d’autorité absolue. Il leur faut pouvoir tenir en main, au moins pour le temps du passage à l’acte criminel, le cours des événements, pour annihiler glorieusement “dans le sang” le sentiment d’injustice subie.
Le sentiment d’injustice subie est une blessure d’amour-propre et une atteinte à l’image de soi. Le but de l’action criminelle est de pouvoir “écrire une fin plus morale”. C’est pourquoi, tout ce qui advient à l’autre doit sembler déterminé par la loi morale. Le but de l’action est I’accomplissement d’une justice supérieure.
L’attitude du justicier doit produire plus d’effet qu’une loi et qu’une justice humaines, car il s’agit d’une justice surnaturelle. Il se crée pour lui-même une fausse “conscience morale” qui, loin de juger la valeur de l’action criminelle à ses effets, la mesure selon son “intention morale” en conformité à sa “loi” personnelle.
La morale du justicier est celle du dieu vengeur, qui châtie le mal absolu de la trahison.
L’attitude du criminel est justifiée par une notion du bien et du mal, absolument distincte de la notion de la justice humaine. Ce code moral du criminel, dès qu’on l’étudie selon le point de vue du justicier, est radicalement opposé à la notion humaine du bien et du mal. La bonne conscience du criminel, et le sentiment que le bon droit et le juste sont absolus et doivent être vengés, font que le justicier agit, par la terreur de l’action criminelle, en conformité à sa croyance faussée en une “justice vengeresse”.
Dr Thierry-Ferjeux MICHAUD-NÉRARD