Boulevard Voltaire
José Meidinger
La terre tremble si fort autour de nous que même Hadès craint de voir s’effondrer la voûte des Enfers…
Je vous écris de Céphalonie, la grande sœur d’Ithaque, à la merci depuis dimanche de la colère du dieu Poséidon. Maître de la mer, mais également des tremblements de terre, ébranleur du sol, Poséidon se rappelle brutalement à notre bon souvenir. Et sur les deux îles grecques, il manifeste sa force gigantesque – plus d’une dizaine de secousses rien que cette nuit – par ses actions telluriques à répétition. Phénomène récurrent en Grèce ou signes de la colère divine ? Les deux sans doute, mais la perspective d’une braderie des trésors de la Grèce antique – et en particulier du sanctuaire de Zeus à Némée – pourrait soulever, à juste titre, l’irritation divine…
Car les hommes, une fois de plus, n’ont rien compris : telle une entreprise en faillite, le gouvernement grec envisage – comme il l’a fait pour le port du Pirée – de brader ses richesses archéologiques qu’il ne peut plus entretenir. Le ministère de la Culture grec a vu son budget réduit de 52 % depuis 2010, un budget de misère qui ne lui permet plus de financer les nombreux musées et sites archéologiques que compte la Grèce. Sans compter qu’avec moins de moyens, de gardiennage notamment, les actes de pillage ou de fouilles clandestines sont devenus monnaie courante sur les sites archéologiques.
« Vendez vos îles, vous les Grecs en faillite, et l’Acropole aussi ! », avait titré le journal Bildzeitung. Le magazine Time vient de lui emboîter le pas avec l’interview d’un archéologue américain qui suggère de privatiser le site antique de Némée dans le Péloponnèse, qu’il restaure depuis 40 ans. Notre Américain aimerait confier à des entreprises privées le développement, la mise en valeur, la gestion de ce site célèbre pour son sanctuaire en l’honneur de Zeus, et comme le lieu où s’est déroulé le combat entre Hercule et le lion de Némée.
On imagine volontiers Némée et ses colonnes élégantes devenir un nouveau Disneyland : l’auteur de ce projet un peu hollywoodien y organise d’ores et déjà des « Jeux néméens modernes » ouverts à tous, sans distinction de sexe ni d’âge, où les concurrents et les juges doivent être… vêtus à l’antique ! On n’en est pas à une pantalonnade près au pied du Parthénon : le Parlement grec a déjà autorisé la location lucrative de ses sites archéologiques pour le tournage de clips publicitaires ou l’organisation d’événements festifs en dehors des heures d’ouverture. Demain peut-être, McDo et Coca-Cola exploiteront le fast-food de l’Acropole, assorti d’un distributeur de « Nespresso, what else ? »…
« Notre patrimoine culturel n’est pas à vendre… ». La révolte gronde chez les archéologues grecs qui ont lancé un appel international pour protester contre les menaces qui pèsent sur le patrimoine archéologique grec : « Nous nous battons pour préserver la mémoire et les traces matérielles du passé, parce que nous savons qu’un peuple sans mémoire est condamné à répéter les mêmes erreurs, encore et encore ». Les monuments, rappellent-ils, n’ont pas de voix : « Ils doivent avoir la vôtre ! »
Les archéologues grecs comptent sur vous pour diffuser leur appel sur la Toile. Pour que Poséidon, frère de Zeus, retourne rassuré dans son palais au fond de la mer. Car la terre tremble si fort autour de nous que même Hadès craint de voir s’effondrer la voûte des Enfers…