Par Alain Sanders
Voir et revoir Morocco ?
Oui. Pour ne jamais oublier ces films qui permirent à quelques monstres sacrés en devenir de passer directement de l’état d’acteurs à celui de légendes vivantes.
Pour Marlène Dietrich, ce film qui sentait bon le sable chaud fut décisif : c’est grâce à lui qu’elle devint célèbre aux Etats-Unis, le fameux Ange bleu n’ayant été distribué, ce qu’on a tendance à oublier, qu’après cette promenade au clair de la dune dans un Maroc revisité.
Car il ne faudrait pas penser que Morocco est une relation, même approximative, de la geste héroïque de la Légion étrangère au Maroc. C’est d’abord une histoire d’amour-passion. Entre une chanteuse et un légionnaire. Une histoire comme il y en a dans les chansons d’Edith Piaf. L’histoire d’Amy Jolly (Marlène Dietrich) qui quitte tout pour son bel amant. Et de Tom Brown (Gary Cooper) qui, prêt à décrocher pour elle la dune avec les dents, ira jusqu’à la désertion.
Pieds nus dans les dunes
Dans son livre, Marlène, la vie d’une star, Charles Higham raconte : « Je revois encore Marlène marchant dans le sable tandis que ses coiffeuses et maquilleuses devenaient folles. C’était une fille sympathique et je me rappelle qu’elle a ôté ses chaussures avant de se joindre à la caravane de bourricots. Pour le réalisme. »
Ce sera d’ailleurs le seul élément « réaliste » de ce film. Pour le reste, Joseph von Sternberg a bricolé : un bastingage, une esquisse de pont et de brouillard pour le paquebot ; une rue mexicaine, des eucalyptus et des feuilles de palmiers pour Mogador ; une plage de Guadalupe pour les dunes…
D’où vient cependant qu’on y croit et qu’on s’y croit ? Par quelles magies, sinon celles de l’image et d’un immense talent, est-on ainsi transporté dans ce désert (très peuplé au demeurant) ? Les amours fiévreuses de Tom et d’Amy ne sont pas pour rien dans cette impression que l’on a, tout au long du film, de sentir – presque de façon palpable – la chaleur, le baroud (« la poudre »), le rire des femmes, les sables enturbannés d’exotiques mirages.
Morocco est ce qu’on peut appeler un film culte. C’est aussi un film d’objets qui, des années plus tard, sont toujours ancrés dans nos mémoires : le képi blanc de Gary Cooper, le boa de Marlène Dietrich, la clef qu’elle confie au beau soldat, le collier de perles abandonné sur une chaise, une paire d’escarpins… Et cette lumière qui met un peu de bonheur dans ces deux âmes tourmentées.