Nicolas Vleughels, directeur de l’Académie royale de France à Rome dans les années 1720, incitait les pensionnaires à des randonnées de travail et montrait l’exemple. La pratique de l’étude en plein air au XIXe siècle est l’héritière d’une longue pratique et est commune à toutes les écoles et chapelles. La campagne romaine inspire Papety, Bénouville, Michallon (tous plus ou moins Prix de Rome). Théodore Caruelle d’Aligny (1798-1871) dessine en Italie, en Grèce, mais il est aussi l’un des premiers à dessiner en forêt de Fontainebleau : un dessin de 1829 montre les gros blocs de roches, dans un ample travail à la plume.
Bléry, original et talentueux
Natif de Fontainebleau, Eugène Bléry (1805-1887) reste à part de l’école de Barbizon ou de l’impressionnisme dont son goût pour la nature pourrait le rapprocher. Il n’est pas non plus un « néo-classique » comme on peut le lire ici ou là. Ce grand aquafortiste solitaire est un méconnu, son nom parfois mentionné parce qu’il fut le maître d’un autre graveur, Charles Meryon. Une vingtaine d’estampes sont présentées, elles témoignent du talent de Bléry, de sa hardiesse aussi dans le choix des sujets. Hêtres, chênes, roches, mais aussi gros plans sur la bardane, les liserons, la fougère ou l’angélique en fleur (illustration)… il s’y entend pour opposer les masses, détailler sans pour autant nuire à l’ensemble.
Bléry aimait tant la nature et la gravure qu’il inventa de graver en extérieur ! D’où ces planches où il indique, après sa signature : « sculpt sur nature ». On peut penser que la première idée était gravée sur le motif, peut-être poussée assez loin, mais il est douteux qu’il ait achevé en extérieur des planches aussi travaillées. Cela paraît techniquement impossible pour des raisons d’éclairage et, si je puis dire, ergonomiques. Graveur dans l’âme, Eugène Bléry ne confiait pas ses cuivres à un imprimeur, il tirait lui-même ses estampes : voilà qui fera plaisir à Landier qui ne pratique pas autrement.
“Le Botin” de Daubigny
Daubigny était le capitaine du Botin ; son fils Karl, adolescent, était le mousse ; l’ami Corot en était amiral honoraire. Corot a énormément dessiné en plein air sans qu’on puisse distinguer systématiquement les œuvres faites à l’extérieur de celles nées dans l’atelier. Lui-même relativisait la distinction entre ces deux façons : « Après mes excursions, j’invite la Nature à venir passer quelques jours chez moi ; c’est alors que commence ma folie : le pinceau à la main, je cherche des noisettes dans les bois de mon atelier ; j’y entends chanter les oiseaux, les arbres frissonner sous le vent, j’y vois couler les ruisseaux et les rivières chargés des mille reflets du ciel et de tout ce qui vit sur les rives ; le soleil se couche et se lève chez moi », expliquait-il au critique Théophile Silvestre (1856).
Corot a expérimenté le cliché-verre, technique mixte à mi-chemin entre le monotype et la photographie, sorte d’estampe parallèle, avec succès : il « grave » de la sorte des arbres, des bosquets dans un style proche du croquis. Qui dit croquis, dit carnet : peu répandus au XVIIIe siècle, les carnets se vendent au XIXe sous des formats différents, l’exposition en présente une bonne trentaine qui n’ont pas appartenu à n’importe qui : Lagrenée, Pierre-Henri de Valenciennes, Corot, Huet, Delacroix… Je n’ai pu ici que suggérer la richesse d’une exposition pleine de fraîcheur.
- Dessiner en plein air. Variations du dessin sur nature dans la première moitié du XIXe siècle.Jusqu’au 19 janvier 2018, musée du Louvre.
Photo en tête : Eugène Bléry, L’Angélique en fleur, eau-forte sur chine appliquée sur vélin. 12,3 cm x 16,6 cm. Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie. © BnF