Guillaume Fischer, spécialiste de la presse et rédacteur en chef du site www.pressenews.fr, se penche sur « les 20 plus gros bides de la presse française » des quarante dernières années. Des histoires riches d’enseignements.
— Vous nous proposez une visite d’un cimetière, celui des journaux et magazines « éphémères ou mort-nés ». Quelle est la raison de cet intérêt funèbre ?
— Il ne s’agit pas d’une visite de cimetière mais au contraire d’une revue constructive de sagas plus ou moins glorieuses. On apprend toujours de ses échecs : tel est le maître mot du livre. En ce sens, les histoires qui émaillent l’ouvrage permettront aux futurs entrepreneurs de presse d’éviter les erreurs commises dans le passé par leurs prédécesseurs.
— Les échecs ont des raisons très différentes (économiques, humaines, erreurs de concepts…) suivant le contexte, et aussi le fait qu’ils concernent des mensuels ou des quotidiens. Mais sont-ils imprévisibles ou l’aveuglement suffit-il à les expliquer ?
— Plusieurs types de raisons expliquent ces bides. Certaines étaient effectivement prévisibles. Au premier chef, le manque d’assise financière qui a coulé de beaux projets comme le quotidien Le Sport. La Truffe, qui s’est lancé sur le créneau de l’investigation, n’a pas non plus suffisamment mesuré l’investissement coûteux que nécessitait une ligne éditoriale aussi exigeante. Les erreurs de concept sont également à prendre en compte pour un titre comme Triba. Car penser que les familles recomposées – avant tout soucieuses de normalité – ont besoin de leur propre magazine était voué à l’échec. L’aveuglement est, a contrario, peu à prendre en compte dans le cadre de ces échecs. Seuls Quo et Ohla ! ont été laissés trop longtemps sous respiration artificielle avant de s’éteindre.
— Vous retenez « les 20 plus gros bides ». Quel serait le podium des trois échecs les plus retentissants ?
— Sans aucun doute, le premier d’entre eux est Le Quotidien de la République. En délicatesse avec le parti socialiste de l’époque, Henri Emmanuelli – un modèle d’apparatchik biberonné à la politique et aux subventions depuis des décennies – s’est improvisé patron de presse. L’expérience a duré 11 jours. Le second bide le plus retentissant est à porter au crédit du puissant groupe allemand Axel Springer. Il a investi des millions d’euros pour lancer son quotidien populaire Bild en France (rebaptisé L’Œil du jour) pour finalement accoucher d’une souris. La troisième palme revient ex aequo au Jour et à Paris hebdo. Le premier, quotidien, ne disposait d’aucune ligne éditoriale solide. Quant au second hebdomadaire, il est allé dans le mur dès le départ en raison des luttes intestines incessantes entre direction et rédaction.
— Les bides se soldent en général avec des ardoises de dizaines de millions d’euros. Pourtant l’aventure a souvent toujours des gens étrangers au monde de la presse (ancien ministre, industriel, intellectuel…). La presse reste-t-elle un miroir aux alouettes, ou internet a-t-il définitivement brisé ce miroir ?
— Même si les formats ont changé, la presse écrite continue à aimanter les décideurs de tout poil car elle reste vecteur d’influence. Les grandes fortunes industrielles investissent toujours dans Le Figaro, Les Echos ou L’Express et dans leurs déclinaisons numériques. En revanche, elles ne se pressent guère en faveur des sites d’information qui restent des nains économiques dans l’Hexagone, contrairement aux pays anglo-saxons.
— Prenons le contre-pied du sujet du livre : que vous inspire l’aventure de Présent, lancée il y a 35 ans, et qui approche des 8 800 numéros ?
— Le quotidien Présent a su dès le départ à quel public il s’adressait et ne s’est jamais éloigné de sa ligne éditoriale historique. Trop souvent les journaux, quelle que soit leur périodicité, oublient qu’ils doivent d’abord répondre à une demande et la satisfaire, comme tout autre produit commercial. Sinon, c’est le flop assuré à plus ou moins long terme. Les journalistes de la grande presse pratiquent trop souvent l’entre-soi, se répondent par média interposé et finissent par être déconnectés de ceux qui les font vivre : les acheteurs.
Propos recueillis par Samuel Martin pour Présent