♦ Il faut toujours demander à un écrivain de formuler les choses. Tandis que je me perdais dans mes clarifications à propos du thème des communautés qui, accolé à son générique, le communautarisme, faisait que ceux-là mêmes à qui il devait le plus parler se trouvaient bien gênés de l’entendre et de le reprendre, Renaud Camus est venu tout dénouer d’un seul trait : « les sanctuaires », m’a-t-il dit.
« Les sanctuaires », plutôt que « les communautés ». Tout est désormais plus clair.
Des hypothèses
Le problème dans lequel nous sommes empêtrés est que nous conditionnons la survie de l’Europe et de la France, dans leur âme, leur essence et dans les peuples qui les composent, à la prise de pouvoir étatique. Parce que, finalement, nous restons très XXe siècle, voire XIXe, XVIIIe et XVIIe siècle ; nous continuons à rester bloqués sur l’idée que la solution à tous nos problèmes ne peut venir que de Papa-Maman l’Etat. Au prétexte que celui-ci est au service de forces qui nous nient, pour parler comme Venner, on suppose qu’il suffirait de le reprendre, en envoyant des « patriotes » au pouvoir (que ce soit par la démocratie ou par la violence, pour les plus chauds d’entre nous), pour que l’avenir de nos peuples soit assuré. Belle idée, qui fut véritablement effective au siècle passé, quand les peuples européens étaient homogènes et prêts à basculer dans des totalitarismes qui, effectivement, démontraient que la puissance étatique pouvait, à elle seule, changer les mentalités et mettre en mouvement toutes les dynamiques nationales.
Je tiens que cette idée est passée de date et, comme un malheur ne vient jamais seul, le fait que la plupart des gens de bonne volonté, c’est-à-dire non remplacistes, pour parler encore comme Camus, ou simplement encore vivants (et non suicidaires, pour parler comme je l’entends), s’accrochent encore à cette dernière, induit que, finalement, nous perdons un temps fou à courir après des chimères quand il y aurait bien d’autres choses à faire pour sauver ce qui peut encore l’être.
Regardons les choses en face : la prise de pouvoir, un jour, est une hypothèse. Elle est même assez saugrenue. Qu’un parti cohérent, puissant, intelligent, puisse faire 50,01% des voix dans une France remplie de personnes âgées (qui, par nature, fuient en nombre le changement) et de personnes d’origine immigrée (qui, encore par nature, n’ont pas nécessairement les entrailles patriotes) est déjà difficile. Mais soit. Croyons-y. Et après ? Une fois au pouvoir, ce parti, cohérent, puissant, intelligent, que pourrait-il réellement faire ? Engagerait-il, avec le soutien miraculeux des populations, une grande politique de remigration de 15 millions de personnes ? Ou bien, encore par miracle, parviendrait-il à assimiler ces 15 millions de personnes, au point d’en faire de parfaits Français ? Reconnaissons ensemble que tout cela semble compliqué. Mais, encore, soit. Admettons. Il est certain qu’un parti, disons « ami », pourrait déjà faire du bien là où les autres ne peuvent faire que du mal, et, en effet, je ne crois pas qu’il soit absolument nécessaire d’arrêter tous combats politiciens en vue de prendre l’Etat. Mais reconnaissons ensemble que les chances pour que cela survienne sont, pour être gentil, faibles. Que cela puisse arriver, c’est une hypothèse. Et je ne veux pas conditionner la survie de l’Europe et de la France à, finalement, ce qui n’est qu’une hypothèse. Pour faire simple, il y a trop à perdre pour tout miser sur ce pari.
Besoin de sanctuaires
Quand le monde s’écroule autour de soi et qu’on a compris qu’on ne le sauvera pas, il reste à protéger ce qui est essentiel. Cet essentiel pourra, demain, après demain, bâtir à nouveau de grandes choses, un nouveau monde. Peu m’importe que ma génération et celle de mes enfants perdent l’Etat Français, son administration et son drapeau, si mes petits enfants sont encore des européens, qu’ils vivent en sécurité, savent lire et écrire, qu’ils héritent encore, en quelque sorte, et qu’ils pourront à leur tour transmettre afin que, sans doute, leurs enfants puissent récupérer les terres que nous auront perdu. En attendant que l’hypothèse de la prise de pouvoir disparaisse ou se réalise, il est urgent d’avoir la volonté de sanctuaires.
Le monde dans lequel nous entrons sera – et est déjà – un monde en grappes. Le peuple, tel que nous l’avons connu, c’est à dire homogène et chevillé à un État qui lui est propre, est déjà une fiction. On peut le pleurer, mais personnellement je ne fais pas parti de ceux qui pleurent. Je sais que la condition principale de la survie est l’adaptation. Il va donc falloir entraîner les peuples européens à s’adapter aux conditions nouvelles du monde dans lequel ils sont projetés.
J’écris tout un essai sur ces conditions nouvelles, donc vous ne m’en voudrez pas si je reste lapidaire dans un texte qui ne peut être que succinct. Toutefois, l’idée-force est que nous sachions nous adapter à ce monde en grappes pour en constituer, nous aussi, un noyau, un pépin, un fruit qui en portera d’autres (car il faut avoir foi en nous). Savoir organiser ceux qui ne veulent pas mourir, les organiser économiquement, culturellement (nécessité d’écoles), esthétiquement, pour leur sécurité aussi, car la réalité nous montrera vite que l’Etat ne pourra pas nous protéger longtemps : voilà quels sont, ou plutôt quels devraient être, les objectifs des derniers Bons européens. Nos sociétés peuvent changer, s’écrouler, pourrir, mais elles ne doivent surtout pas nous changer.
Dans ce besoin essentiel de recevoir et de transmettre, il va falloir avoir la volonté de sanctuaires, lieux, immatériels ou, peut-être bientôt, géographiques, dans lesquels nous pourrons protéger ce qui mérite de l’être au milieu d’un flot de barbaries. Entreprises, écoles, associations, villages, familles, ou que sais-je encore, tout ce qui n’appartient pas à l’Etat et qui surtout ne doit plus lui appartenir, du moins tant qu’encore un parti politique miraculeux n’arrive au pouvoir.
N’oublions jamais que lorsque l’Empire Romain s’est effondré, ses plus beaux éléments (la culture, le droit, etc.) ont pu être sauvés et être transmis car certains Romains, qui avaient compris ce qui se tramait, s’étaient réfugiés dans des sanctuaires. Ils purent ainsi transmettre pour les générations futures. De même, je pense souvent à ces Russes qui avaient compris avant les autres que le soviétisme allait s’écrouler, et qui s’étaient réfugiés près d’un lac en Ingrie pour penser ensemble la Russie future. C’est en partie grâce à leur travail que la Russie pût se relever, bien des années plus tard.
En clair et encore une fois : acceptons le monde tel qu’il est, mais sachons tirer notre épingle du jeu. Depuis quand un défi pareil devrait faire peur à des Européens, eux qui ont tout bravé et presque tout créé ?
Personnellement, ça ne me fait pas peur. J’ai même hâte.
Julien Rochedy – Polémia