Le Brésil, Eldorado des migrants musulmans!

 

Syriens, Pakistanais ou Sénégalais sont nombreux à s’installer au Brésil, où ils trouvent facilement du travail, des logements et même des lieux de prière.

Il y a foule ce midi pour la prière du vendredi. Plus de 500 personnes, hommes, femmes et enfants réunis dans la mosquée Brasil de Sao Paulo, premier et plus grand lieu de culte musulman d’Amérique latine.
Au lendemain des attaques terroristes à Paris en janvier, un « Eu sou Charlie » (« Je suis Charlie ») a été peint sur l’enceinte extérieure. L’inscription a été rapidement effacée. « Un acte isolé », se sont alors empressés d’affirmer les médias locaux. Et le calme est revenu, en apparence du moins.
Ici, un tiers des croyants vient d’Afrique de l’Ouest et des pays arabes. Des jeunes âgés entre 20 et 35 ans, migrants récents attirés par les promesses d’un Eldorado brésilien ou contraints de fuir la violence et les conflits. Les autres, la très grande majorité, sont Brésiliens, dont près de la moitié s’est convertie à l’islam ces dernières années. Ils portent un casque pour la plupart afin de suivre la traduction du prêche. Comme dans presque toutes les mosquées de la ville – qui en compte 17 –, l’imam ne parle pas portugais.

Sans pour autant connaître une explosion fulgurante, l’islam se fait lentement, mais sûrement, une place dans la mosaïque religieuse brésilienne. Pour la plupart catholiques, les fidèles se tournent de plus en plus vers la troisième religion monothéiste. Selon l’IBGE – Institut brésilien de géographie et statistiques – le nombre de musulmans au Brésil aurait augmenté de 29.1% entre les années 2000 et 2010. Toujours selon l’IBGE, la plus grande population musulmane se trouve à São Paulo, suivie de près par Paraná, Rio Grande do Sul et Rio de Janeiro.

Les instances religieuses revendiquent entre 2 et 3 millions de fidèles. Les recensements officiels, eux, n’en dénombrent que 36 000. Aucun des deux chiffres n’est pourtant fiable : les instances musulmanes se basant sur des estimations, et les recensements étant souvent inexacts. En effet, le Brésil ne recense pas la part de sa population musulmane.

C’est surtout la part de conversions qui est remarquable. À Rio, il y a quelques 500 familles musulmanes dont 85 % sont des Brésiliens convertis.
Une télénovela derrière plusieurs conversions

Les chiffres concernant la démographie musulmane brésilienne ne sont pas précisément connus et oscillent de 36 000 âmes à… 3 millions.

Les premiers musulmans ont fait leur apparition au Brésil au début du XVIe siècle. Une deuxième vague suivra peu après. Pendant les quatre siècles suivant, tous les musulmans au Brésil étaient des esclaves africains. C’est l’arrivée des populations proche-orientales qui change la donne. Syriens, Libanais, et Palestiniens constituent la vague d’immigration la plus récente.

Dès le début du XXe siècle, ils fuient l’empire Ottoman et se réfugient au Brésil. Pour la plupart, ils sont aujourd’hui complètement assimilés à la population brésilienne : 90% d’entre eux ont la nationalité, et beaucoup ne parlent même plus l’arabe. Au Brésil, la première mosquée se fera attendre, et n’a été inaugurée qu’en 1960. La construction d’autres lieux de cultes ne commencera réellement qu’à partir des années 1980, pour enfin s’accélérer au début des années 2000. Il y a aujourd’hui plus de 127 mosquées au Brésil, soit quatre fois plus qu’en 2000.

Le visage de l’islam brésilien change totalement au cours des dernières années. Connu pour être pratiqué dans les familles immigrées et relativement bourgeoises, voire de la haute société, l’islam se fait plus courant au milieu des favélas. Les fidèles, en majorité Noirs, y trouvent une alternative à l’Eglise catholique. Le Mouvement noir unifié (MNU) soutient que Jésus est toujours représenté en homme blanc, et que beaucoup de jeunes Noirs ne se sentent pas considérés.

D’autres y trouvent un réconfort dans la pauvreté, ou encore un remède et un appui moral. «Posse Hausa» est un groupe de hip-hop dont une partie des membres s’est convertie à l’islam. Selon Honerê Oadq, star de hip-hop brésilienne, l’islam a sauvé son entourage de l’alcool, la drogue et la prison. «L’islam se présente comme une idéologie tiers-mondiste, semblable à celle qu’on pouvait trouver dans la théorie de la libération latino-américaine avant que l’Église catholique décide de freiner son expansion» explique Paulo Pinto. Selon certaines études, près de 70% des convertis au Brésil sont «des femmes, jeunes pour la plupart, avec un niveau d’études plutôt élevé». Le Brésil a le mérite de soutenir sa population. Après les événements du 11 septembre 2001, les Etats-Unis avaient demandé aux gouvernements paraguayen et brésilien de surveiller leurs communautés musulmanes, sous prétexte qu’elles pouvaient couver des tendances terroristes. Le Paraguay s’était exécuté, emprisonnant et torturant des commerçants de Ciudad del Este. Le Brésil avait en revanche déclaré qu’il «défendrait tous les citoyens brésiliens contre des ingérences étrangères».

« Dieu est brésilien », dit un dicton populaire local. Ce qui est certain, c’est que les habitants de la 7e puissance économique mondiale sont profondément ancrés dans la foi, malgré l’image de pays très libéré qu’il affiche. S’il reste le premier pays catholique au monde, le nombre de ses adeptes décline inexorablement depuis les années 1980, au profit d’autres branches du christianisme. Le pluralisme religieux a droit de cité et les affiliations fluctuent au gré des périodes. C’est dans ce cadre que l’islam s’ancre doucement dans le paysage local.

Cette religion affiche une belle progression d’adeptes depuis les années 2000, sans pour autant connaître l’explosion annoncée par les médias au tournant des années 2010. De quelle population parle-t-on exactement ? Difficile à dire. Selon le recensement officiel brésilien de 2010, il y aurait 35 167 musulmans dans le pays mais les organisations musulmanes brésiliennes déclarent la présence de 1,5, voire 2 ou même 3 millions de fidèles. S’il est probable que les chiffres du recensement soient sous-estimés, les gens hésitant parfois à révéler leur confession, ceux des instances musulmanes, basés sur des estimations, sont aussi à prendre avec précaution.

La communauté fait l’objet de peu d’études mais des spécialistes des religions au Brésil estiment le nombre de musulmans autour de 200 000 à 300 000 au regard notamment des quelque 120 mosquées et salles de prière recensées. Leur nombre représente en effet le meilleur indicateur de la progression de l’islam au Brésil. On en comptait une trentaine en l’an 2000 : leur nombre aurait donc été multiplié par 4 ces dernières années.
Quel que soit le chiffre retenu, la proportion des musulmans reste bien modeste au regard d’une population forte de 201 millions d’habitants. Si elle est difficilement chiffrable, la part des convertis augmente depuis les années 2000. La médiatisation de l’islam après le 11-Septembre a attiré des Brésiliens dont le sentiment de marginalité est important. Pour certains, l’islam est une religion anticonformiste et originale.

C’est majoritairement le fait de jeunes Afro-Brésiliens. Ils ne se sont jamais vraiment reconnus dans le catholicisme, avec un Jésus toujours représenté en Blanc, et le mutisme de l’Eglise à l’époque de l’esclavage africain. Les églises évangéliques, qui se sont multipliées à partir des années 1980, n’avaient rien non plus d’attrayant pour de jeunes Noirs en quête de repères.

Pour les convertis, l’islam, par le changement des comportements, est perçu comme une solution aux problèmes des favelas et des banlieues, et le Coran comme une réponse à leurs difficultés quotidiennes (mauvais traitements de la police, violences liées à la drogue, difficultés d’accès à la santé et à l’éducation), objets de manifestations à répétition avant la Coupe du monde. Le mouvement hip-hop semble avoir aussi eu une influence. Des rappeurs convertis ont à leur tour contribué à faire connaître l’islam, en le mêlant aux revendications des Afro-Brésiliens.
Un anthropologue brésilien, Paulo Gabriel Hilu da Rocha Pinto, a aussi souligné en 2011 l’influence d’une telenovela à succès, O Clone, dans la popularisation de l’islam. Initialement programmée en 2001 et en 2002, elle a « introduit dans l’imaginaire culturel brésilien des images très positives des musulmans ». Caricatural à souhait, le feuilleton a éveillé la curiosité pour cette religion exotique.

Le rôle des associations musulmanes est à souligner. Elles sont financièrement très solides : ce sont elles qui gèrent la certification halal. Le Brésil est par ailleurs le premier exportateur mondial de poulets halal. Ces dernières années, des associations ont entrepris le même travail de fond que les églises évangéliques ont mené à la fin du XXe siècle. Elles apportent de l’aide financière et matérielle aux familles pauvres, offrent des services en matière d’éducation ou de santé, et fidélisent les populations par ce biais.
Les conversions changent le visage d’une religion auparavant identifiée avec les descendants d’Arabes, appartenant souvent à une classe sociale élevée. Il y a encore une dizaine d’années, la majorité des musulmans était d’origine proche-orientale mais ces derniers se sont très souvent complètement intégrés à la culture brésilienne.

A Sao Paulo, on trouve une des plus importantes et des plus anciennes communautés musulmanes. De nombreux Syriens et Libanais se sont installés dans la capitale économique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Ils étaient alors baptisés « Turcos » par les Brésiliens en raison de leurs passeports de l’Empire ottoman. D’autres migrants du Moyen-Orient se sont installés après la Seconde Guerre mondiale.
Mais les tout premiers pratiquants de l’islam étaient d’abord des esclaves importés d’Afrique de l’Ouest à partir du milieu du XVIe siècle. On les appelait les Malés et les Muçulmis. Les spécialistes estiment que 15 % des esclaves arrivés au Brésil étaient originaires de pays majoritairement musulmans, une proportion vraisemblablement plus importante que dans d’autres pays du continent américain.

Au début du XIXe siècle, ils se rebellèrent à plusieurs reprises. La révolte des Malés, la plus importante révolte d’esclaves au Brésil, a éclaté pendant le mois de Ramadan dans la nuit du 24 janvier 1835, à Salvador de Bahia. La répression a été sanglante. Après la révolte, les autorités ont surveillé de près les Malés et ont déployé d’intenses efforts pour les amener à se convertir au catholicisme et ainsi effacer l’islam des mémoires collectives. En vain. Près de 200 ans plus tard, l’islam est toujours présent et plus fort

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