Peintre et lithographe français (Albi 1864-château de Malromé, Saint-André-du-Bois, Gironde, 1901). Créateur d’une vision légendaire du Paris de son époque, Henri de Toulouse-Lautrec fut aussi le promoteur d’une nouvelle esthétique du portrait. Dessinateur d’instinct, il voulut, selon sa propre expression, « faire vrai et non idéal », et demeure en marge de toute école.
L’entrée aux Beaux-Arts
Descendant de l’illustre famille des comtes de Toulouse, Henri de Toulouse-Lautrec est le fils d’un ancien officier anticonformiste, qui se préoccupe plus de chasse que de son éducation. Venu à Paris avec sa mère – une cousine germaine de son père –, il fait ses études au lycée Condorcet et passe ses vacances dans le château familial de Celeyran, dans l’Aude. Â l’âge de 14 ans, sa croissance est stoppée à la suite d’une double fracture aux jambes provoquée par une dégénérescence osseuse.
Toulouse-Lautrec a découvert la peinture dès sa jeunesse en fréquentant l’atelier de René Princeteau (1849-1914), un artiste animalier qui lui a communiqué son amour des chevaux. Lorsqu’il décide d’en faire son métier, il entre en 1882 dans l’atelier de Léon Bonnat, puis dans celui de Cormon, à l’École des beaux-arts. C’est alors qu’il se lie à Van Gogh, dont il réalise un superbe portrait au pastel (1887, musée Van Gogh, Amsterdam). Vers 1890, il se détache de l’impressionnisme triomphant et se rapproche plutôt des indépendants, comme Renoir. Mais son véritable maître est Degas
L’osmose montmartroise
C’est à Degas que Toulouse-Lautrec doit son sens aigu de l’observation des mœurs du Paris nocturne et son intérêt pour les sujets « naturalistes » (la Blanchisseuse, 1889, collection privée). Familier des cabarets de Montmartre, il croque tout un peuple d’artistes et de clients qu’il fait passer à la postérité. Après avoir vécu plusieurs années dans le quartier, il s’installe aux Champs-Élysées, mais, tous les soirs, il revient faire la fête à Montmartre, où il a toujours une table réservée – non seulement au Moulin-Rouge, mais au Rat-Mort, aux bals du Moulin de la Galette et de l’Élysée-Montmartre. Il a également ses entrées au Chat-Noir de Rodolphe Salis, au Mirliton d’Aristide Bruant, au Divan japonais, à la Scala et aux Ambassadeurs.
Henri de Toulouse-Lautrec, Divan japonaisHenri de Toulouse-Lautrec, Divan japonais
Toulouse-Lautrec recherche les mises en page savantes, le découpage arbitraire de la toile, les grands vides dynamiques (M. Boileau au café, 1893, Cleveland). Sa couleur est somptueuse, avec des verts et des rouges intenses, des ombres bleues, des lumières artificielles étranges. Il peint le plus souvent sur un épais carton dont le brun ou le gris apparent forme le fond du tableau (Femme au boa noir, 1892, musée d’Orsay). Il exécute les personnages soit à l’huile, soit à l’essence (Marcelle, 1894, Albi), avec parfois des rehauts de gouache claire (Missia Natanson, 1895, collection privée).
Le génie du dessin
Comme Degas également, Toulouse-Lautrec accorde la priorité au dessin. D’un trait rapide et incisif, qui saisit une posture, un mouvement, il définit ou déforme la psychologie d’un personnage. Ses propres portraits sont d’insolentes caricatures. Reflets de toutes ses audaces graphiques, ses affiches publicitaires inaugurent un art de la rue qui fait sensation (Aristide Bruant aux Ambassadeurs, 1892 ; la Revue blanche, 1895 ; la Troupe de Mlle Églantine, 1896). À l’habileté dynamique des plans et des gestes s’ajoute le jeu subtil des coloris, où s’opposent les orange et les bleus, les rouges et les noirs.
Influencé par l’estampe japonaise, Toulouse-Lautrec exécute plus de 300 lithographies entre 1892 et 1899. Il y retrouve le goût de l’étude de mœurs dans des milieux typés (théâtre, cirque, hippodrome, vélodrome) et de l’érotisme féminin (Elles, 1896). Mais, également, il y donne libre cours à son génie de la stylisation, qui l’apparente aux créateurs de l’Art nouveau.
Toulouse-Lautrec fournit à l’occasion des dessins satiriques aux journaux (le Mirliton, le Rire, l’Escarmouche…). Il réalise des maquettes de décors et de programmes pour le théâtre de l’Œuvre de Lugné-Poe et pour le Théâtre-Libre d’Antoine. Alors que sa réputation de grand artiste est établie, il s’enfonce dans l’éthylisme et, en 1899, il est frappé d’une crise de delirium tremens. Au cours de son internement, il exécute de mémoire, aux crayons de couleur, une série de dessins sur le cirque (Au cirque, le salut). Dès sa première attaque de paralysie, il liquide son atelier parisien et rejoint sa mère en Gironde, où il s’éteint à l’âge de 36 ans. Un millier de ses œuvres sont exposées au musée Toulouse-Lautrec d’Albi.
« Les petites femmes de Paris »
Homme infirme, Toulouse-Lautrec transcenda sa désespérance par son amour des femmes. Les danseuses de french cancan, Grille-d’Égout, Rayon-d’Or, Nini Patte-en-l’Air, Trompe-la-Mort, l’enivraient. Mais nulle plus que la Goulue (Louise Weber [1866-1929]), portant haut son chignon roux, et Jane Avril (Jeanne Beaudon [1868-1943]), dite la Mélinite, aux diaboliques bas noirs, n’eut les faveurs de son talent d’artiste (Au Moulin-Rouge, entrée de la Goulue, 1892, MoMA, New York ; Jane Avril dansant, id., musée d’Orsay).
Henri de Toulouse-Lautrec, Yvette Guilbert saluant le publicHenri de Toulouse-Lautrec, Yvette Guilbert saluant le public
Le peintre étudiait sans relâche le rythme endiablé des danseuses, de leurs jambes qui s’élèvent, de leur linge qui s’envole de part et d’autre des acrobaties de l’inévitable Valentin le Désossé (Jules Renaudin [1843-1907]). Il s’intéressa aussi aux chanteuses célèbres, telle Yvette Guilbert, aux longs gants noirs, et aux artistes de cirque. Il n’oublia pas le monde des filles de joie, qu’il transfigura par un curieux lyrisme teinté d’ironie (Au salon de la rue des Moulins, 1894, Albi).